Graeme Patterson : Raton de ville
Arts visuels

Graeme Patterson : Raton de ville

On n’apprivoise pas les chats sauvages. À l’instar de Marjo, Graeme Patterson jase d’amour et de liberté avec A Suitable Den, une installation immersive présentée au Mois Multi.

Décorée à la mode des années 1970, ornée de meubles mid century modern comme on en voyait dans la télésérie Mad Men, la tanière aux tons de terre abrite un raton laveur aussi espiègle qu’attachant. Le cabinet fictif devient une scène pour le coquet mammifère qui interagit avec le visiteur et le surprend au détour. Il danse, parfois il parle, autrement il dort. Au gré de ses envies, l’artiste néo-brunswickois guide ses pas. C’est Graeme Patterson lui-même qui contrôle les manettes à distance, poussant sa progéniture numérique à renverser les poubelles et à déchirer les murs et la carpette pour faire rigoler ou émouvoir les invités. Son secret? Des capteurs cachés sous le tapis bleu acier à motif de treillis marocain. «Il bouge avec toi, en quelque sorte, lorsque tu es dans l’espace. C’est une animation comme on en trouve dans les jeux vidéo. Tous ses gestes et mouvements sont aléatoires et imprévisibles. […] Je veux donner l’impression qu’il vit vraiment dans l’espace.»

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photo : ®Toni Hafkenscheid

Commandée par la Banque BMO, l’œuvre grandeur nature a d’abord été présentée entre les murs du First Canadian Place, l’un des plus hauts gratte-ciel de la Ville Reine. «Originalement, c’était spécifiquement construit pour une pièce plus petite, un ancien bureau transformé en espace de diffusion pour l’art, raconte Graeme Patterson. J’ai fait pas mal de recherches à propos des ratons laveurs et découvert qu’à Toronto, il y en a plusieurs qui se cachent dans les greniers des gens. C’est une des choses qu’ils font pour survivre. Ils grimpent, ils se cachent. Ils font aussi ça dans les bois, ils montent dans les arbres et tout. J’ai eu la drôle d’idée d’en placer un au 68e étage!»

Ce n’est pas la première fois que Patterson s’intéresse aux animaux sauvages qui vivent en territoire urbain. C’est un thème récurrent de sa pratique, son «obsession constante», comme il l’écrit sur son site web. A Suitable Den lui permet de poser une loupe sur la triste réalité des petites bêtes poivre et sel qui donnent de l’ouvrage aux compagnies d’extermination. Ces créatures qu’on appâte pour mieux les piéger et finalement les relocaliser ou carrément mettre fin à leurs jours. Le sort qu’on leur réserve est trop souvent cruel. Pour certains citadins, la créature aux délicates mains agiles et au petit masque noir de voleur n’est rien de plus qu’un parasite. Une nuisance publique. Le maire John Tory en est: il a même investi dans de nouveaux bacs à compost à l’épreuve des astucieux omnivores, les coupant ainsi d’une de leur principale source de nourriture. «Toronto a été l’une des premières villes à vraiment avoir une importante population de ratons laveurs. C’est pour ça qu’on y retrouve les individus les plus intelligents du monde! Leurs ratons laveurs sont les plus gros, les plus paresseux, les plus similaires aux humains. Souvent, ils sont vraiment confortablement installés et je crois qu’ils sont heureux.»

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photo : ®Toni Hafkenscheid

Dans la capitale ontarienne, ledit racoon fait quand même office d’emblème. Les graffeurs s’en donnent à cœur joie, idem pour les illustrateurs mandatés à la création d’articles de souvenirs. Leurs jolis petits minois ont été aperçus dans les tuiles du plafond de l’aéroport Pearson, des caméras ont capté leurs tribulations à la station de métro Bloor en pleine heure de pointe. La presse numérique s’enthousiasme, les journalistes citoyens et autres vidéastes amateurs s’en régalent, mais ces scènes sont en fait une conséquence directe de l’étalement urbain. Ce ne sont pas eux qui vont vers la ville, c’est la ville qui vient vers eux! Est-ce que A Suitable Den serait, en ce sens, une prise de position contre les erreurs d’urbanisme? Graeme Patterson reste prudent. «Je ne pose pas de jugement. Mon travail n’est pas, en ce sens, politique. Le message que je veux transmettre, ce que je veux communiquer au visiteur, par contre, c’est clairement une prise de conscience émotionnelle. Si ça se trouve, j’illustre la mauvaise posture de ces animaux. Les questions que je veux soulever c’est: “Comment est-ce qu’on va de l’avant avec ça? Comment est-ce qu’on peut apprendre à coexister?” Mais les expulser? Non. Je n’aime pas cette idée.»

A Suitable Den
Du 16 février au 25 mars
À la Galerie des arts visuels de l’Université Laval
(Dans le cadre du Mois Multi)