Claudie Gagnon : Québec est une fête
Arts visuels

Claudie Gagnon : Québec est une fête

Elle a marqué les esprits, certaines de ses créations sont passées au rang de légendes urbaines. Collectionnée par le MNBAQ, étudiée dans les universités, Claudie Gagnon est de celles dont la folie et l’audace ont pavé la voie pour les autres.  

Dans les cafés de la Cité, on parle encore de son fameux appartement de Saint-Malo, ce grand logis délabré, mais au passé chic, qu’elle avait transformé en gigantesque installation. Le plein d’ordinaire, c’était le titre de son inclassable offrande de 1997, l’avait amenée à planter du gazon dans son salon de l’époque, à remplir son bain d’une eau rougeâtre comme pour faire croire à un sinistre homicide impudique. Aucune pièce du logement n’était épargnée par son imagination si fertile et, pourtant, assez invraisemblablement d’ailleurs, le propriétaire de son immeuble n’avait jamais eu connaissance de quoi que ce soit. «C’était pas quelqu’un qui s’intéressait à l’art, donc il n’est pas venu, se souvient-elle en riant. Il trouvait que j’avais beaucoup de visites par exemple!»

Claudie Gagnon est aussi ricaneuse que son travail fait sourire. Spécialiste des faux semblants, on la reconnaît à ses lustres de babioles en plastique récupérées, de saucisses ou de poches de solutés. Il lui est même arrivé de découper une élégante robe de la Renaissance dans du tapis de billard, de cuisiner des petits gâteaux aux cheveux. Tout n’est qu’illusion dans le monde de l’autodidacte. Ses œuvres réalisées in situ sont savamment décalées, immersives, complètement surdimensionnées. On l’a vue investir une grange à la campagne, l’église Notre-Dame-de-Grâce avant qu’on ne la démolisse, établir les standards de qualité d’Où tu vas quand tu dors en marchant…? en participant à la toute première édition de ce populaire parcours déambulatoire. C’est une démarche difficile à résumer, résolument multidisciplinaire, complexe, bien que terriblement accessible. Sculptures, tableaux vivants, costumes, maquillages, vidéos… «Je n’ai jamais tracé de ligne entre les disciplines.»

Claudie Gagnon, Hautes et basses oeuvres de bouche (Archives)
Claudie Gagnon, Hautes et basses oeuvres de bouche, 2007, L’Oeil de Poisson (Archives)

Sa signature n’en est pas moins nette. On reconnaît son esthétique vaguement anachronique et circassienne, ce petit quelque chose de forain qu’on retrouve dans toutes ses œuvres. «Mais je ne suis pas dans le mouvement, précise-t-elle modestement, dans le jonglage, mettons. Ce serait ben le boutte!» Peu importe la nature de son projet, Claudie aime intégrer des personnages issus de la tradition orale, du conte, des protagonistes que tout le monde connaît déjà, finalement. Parmi ses motifs de prédilection? Ses hommes forts aux allures de Louis Cyr anémiques, ses «foutus mariés» ligotés l’un à l’autre qui illustrent sa monographie publiée il y a presque 10 ans. C’est sans parler de ses citations visuelles très directes, ses clins d’œil d’outre-tombe à de grands maîtres comme Jérôme Bosch («une inspiration infinie») ou Jan van Eyck avec ses Époux Arnolfini – un tableau vivant acquis par le MNBAQ en 2008. «Les références à l’histoire de l’art, c’est très, très, très présent. J’ai fait un banquet au MAC en 2012 où je citais vraiment des natures mortes des Hollandais du 18e siècle, tout ça. J’ai littéralement reconstitué des œuvres avec un chef cuisinier. On a travaillé comme des fous là-dessus et le lendemain, il ne restait plus rien. […] C’était une soirée qui, moi, m’a demandé des mois de travail.»

Ce qu’elle propose ce mois-ci à la Galerie 3 n’aura rien d’éphémère. Bien au contraire! Contrefaçons est sa toute première exposition solo présentée dans une galerie privée et commerciale. C’est une série d’œuvres tangibles, qui résisteront au temps et qui pourront être achetées – des impressions sur coton mat sur lesquelles elle se permet moult coups de pinceau. «Là, j’ai bouclé une sorte de boucle, une boucle assez étrange en fait […]. J’ai jamais fait ça. J’ai pris des œuvres de peintres, je les ai tournées en vidéo, je les ai transformées en photos, et là, je les peins.»

Le corpus compte 10 à 12 tableaux, des scènes puisées à même 500 ans de peinture, du 17e siècle à aujourd’hui. Odilon Redon lui en inspire un, avec son homme-cactus et ses géraniums, des motifs surréalistes incarnés par des comédiens à qui elle demande de revêtir les plus cocasses atours. Elle rend aussi hommage à des figures de l’ombre, des gens comme Jean-Louis Forain, «un espèce de Toulouse Lautrec, mais side show qu’on connaît pas». Friande de recherche, curieuse devant l’éternel, Claudie Gagnon embrasse une démarche «monastique». Elle épluche les livres, les catalogues en ligne des grands musées pour bricoler des œuvres généreusement référencées qui vont bien au-delà du cute. «Pour moi, la vie est pas rose-rose, elle n’est pas brune-brune non plus. Elle est quelque part entre les deux.»

Contrefaçons
Du 11 mai au 11 juin

À la Galerie 3

Oeuvre de Claudie Gagnon (Courtoisie de l'artiste)
Oeuvre de Claudie Gagnon (Courtoisie de l’artiste)