Picasso MBAM : Exit l’exotisme
Tisser une nouvelle toile de l’histoire de l’art en joignant l’œuvre de Picasso et les arts autrefois dits «premiers» d’Afrique, d’Océanie et des Amériques, voilà l’une des ambitions du dialogue que propose d’ouvrir la nouvelle exposition du Musée des beaux-arts de Montréal ce mois-ci.
Conçue à l’origine par le Musée du quai Branly – Jacques Chirac, en partenariat avec le Musée national Picasso, Paris, D’Afrique aux Amériques: Picasso en face-à-face, d’hier à aujourd’hui est une adaptation du Musée des beaux-arts de Montréal, par la directrice et commissaire Nathalie Bondil. Au MBAM, l’approche interculturelle prend le dessus sur une approche plus ethnographique et permet, du même coup, de présenter deux expositions, avec le volet montréalais de Nous sommes ici, d’ici: L’art contemporain des Noirs canadiens. Initiée par le ROM (Musée royal de l’Ontario), cette exposition s’interroge sur l’identité noire au Canada par les artistes locaux de descendance africaine, et est présentée en parallèle et de manière complémentaire à la première.
Le parcours du face-à-face, suivant la chronologie de la vie et de l’œuvre de Picasso – observateur intrigué par les arts d’Afrique –, se déploie aussi au fil des divers angles de l’histoire de l’art moderne proposés. En intégrant une série d’œuvres contemporaines et en les mettant en relation avec un héritage post-colonialiste, l’exposition provoque inévitablement le dialogue et un questionnement face aux questions d’appropriation culturelle et de réappropriation esthétique, particulièrement dans le cas de Picasso, un des phares de la modernité qui sert de levier dans ce face-à-face. Ce dernier invite aussi à la découverte des traditions de l’art autrefois dit «tribal», de ses fonctions et de certaines de ses œuvres majeures, entre autres d’artistes anonymes qui ont grandement influencé le travail de Picasso et de ses contemporains.
En confrontant une conception post-colonialiste de l’art moderne et ses relents d’exotisme avec les œuvres des photographes Edson Chagas, Omar Victor Diop, Samuel Fosso, des vidéastes Theo Eshetu, Mohau Modikaseng ou encore des plasticiens Romuald Hazoumè, Masimba Hwati, le MBAM permet d’explorer les rapports semblables de part et d’autre face à la nudité, la sexualité, les pulsions ou la perte, par le biais de solutions plastiques parallèles, telles que la défiguration ou la déstructuration des corps. «Ces face-à-face racontent l’évolution du regard et de l’histoire de l’art, explique Nathalie Bondil. Comment un objet considéré comme ethnologique est-il regardé comme un objet d’art? Comment un Picasso et un masque anonyme peuvent-ils s’exposer sur un même plan? Quelles furent les étapes de cette “décolonisation du regard” au cours du dernier siècle jusqu’à nos jours? Ces expositions s’inscrivent dans la perspective de notre “Aile des cultures du monde et du vivre-ensemble” qui ouvrira en 2019.»
De plus, toujours dans un esprit d’ouverture des frontières et de déconstruction des clichés, des artistes femmes ou féministes interrogent les stéréotypes d’une imagerie primitiviste de la femme noire: «Dans l’exposition, des artistes engagées telles que Mickalene Thomas, Zina Saro‐Wiwa ou Zanele Muholi interrogent plutôt une histoire de l’art globale où la femme noire est absente; elles critiquent son image stéréotypée; elles affirment leur identité au 21e siècle.» Pour poursuivre le dialogue, le collectif montréalais The Woman Power – issu de Never Was Average – a été invité à créer un contrepoint au thème des Demoiselles d’Avignon «sous forme de plateforme positive du renforcement de la représentation des femmes noires dans l’univers médiatique et l’imaginaire artistique».
Ainsi, exit l’exotisme qui émanait des interprétations précédentes de l’art africain ou des artistes anonymes des anciennes colonies. L’accent est ici sur une vision interculturelle et esthétique de l’art. Avec le face-à-face proposé pour Montréal, c’est plutôt une nouvelle approche de l’influence des arts d’Afrique, d’Océanie et des Amériques, sur lesquels de nombreux artistes modernes ont jeté leur dévolu, le tout remis dans le contexte de l’époque et confronté à celui d’aujourd’hui: «L’art africain comme l’art océanien, asiatique, américain et européen participent d’une même histoire de l’art globale à repenser», évoque la commissaire.
Pour mieux comprendre le regard d’aujourd’hui sur les objets d’hier, autrefois ethnologiques et désormais esthétiques, c’est par la perception de Picasso et d’autres artistes contemporains que l’exposition nous propose de passer, tout en nous ancrant dans un contexte actualisé. En favorisant l’«inter» plutôt que le «multi», les perspectives se croisent et se rassemblent, pour mieux poursuivre la définition de l’histoire de l’art mondial.
D’Afrique aux Amériques
Picasso en face-à-face, d’hier à aujourd’hui
Du 12 mai au 16 septembre