Megan Dickie : Cow-girl dorée
Avec son exposition présentée à la Grande galerie de L’Œil de Poisson ce mois-ci, l’artiste Megan Dickie réfléchit à la quête de la perfection en se mettant en scène dans le rôle d’une cow-girl dont la quête est vouée à l’échec, le tout dans un univers qui brille de mille feux. Rencontre avec l’artiste visuelle.
On plonge dans Blue Skies comme on entre en transe: une fois dans la salle, nos yeux sont attirés par tous les éclats dorés qui scintillent un peu partout. «J’essaie de séduire les gens et de les rendre confus avec tous ces brillants», explique en riant l’artiste jointe par téléphone à Victoria.
Une fois notre curiosité piquée, Megan Dickie déploie une réflexion sur le statut social et notre rapport au succès dans une installation déclinée en quatre œuvres incorporant sculptures et vidéos. Car si sa pratique s’articule principalement autour de la sculpture, c’est dans ses vidéos qu’elle peut interagir avec celle-ci pour pousser sa critique.
Dans Blue Skies (qui est à la fois le nom de la vidéo et de l’expo), on voit donc l’artiste dans différents paysages de son Alberta natale, déguisée en cow-girl dans des costumes colorés et richement décorés, s’accompagnant d’une sculpture longiligne dorée de plus de quatre mètres.
À travers cinq écrans jouant simultanément, on suit ses tentatives de danser en ligne avec équilibre tout en restant sur le tempo, malgré le vent qui fait tanguer la sculpture et donne du fil à retordre à notre femme des prairies. Si chacune de ses cow-girls commence en contrôle, on les verra toutes lutter pour conserver cet état initial de grâce – et échouer, chaque fois. «Ça dégénère lentement, résume-t-elle. Vous verrez le décalage [dans leur quête] de réussir à demeurer en contrôle de la situation, d’autant plus que les danseuses commencent toutes ensemble, mais perdent lentement leur cohésion.»
La cow-girl flirte donc avec l’échec, cinq fois plutôt qu’une. Il s’agit d’un thème récurrent dans la pratique de Megan Dickie. À travers ses performances captées sur vidéo, elle se place dans des situations complètement décalées où ses efforts ne portent jamais leurs fruits. «C’est en incorporant l’absurde que je peux provoquer des réflexions sur notre quête constante de connaître plus de succès, d’être plus grand, plus influent, meilleur bref.»
C’est pour elle une façon d’apporter un nouvel éclairage à ses préoccupations féministes en incarnant des personnages qui ne remplissent pas les attentes qu’on se forge des femmes. «J’ai été lutteuse, j’ai incarné un personnage de jeu vidéo, je me suis attaquée et j’ai sauté sur mes sculptures, énumère-t-elle. Ça amène à entrevoir le féminin d’une autre façon, comme une figure autoritaire ou même agressive. Par contre, comme j’échoue le plus souvent, c’est là que l’humour émerge et c’est ce qui m’intéresse le plus dans ma pratique.»
Le reste de l’exposition fait écho à l’univers qui se déploie dans l’installation vidéo. Ainsi, pour construire l’immense sculpture qui accompagne son personnage de cow-girl, Megan Dickie a créé huit prototypes miniatures, d’une opulence quasi exagérée avec pierres semi-précieuses et paillettes en quantité. Ils seront disposés sur des tables dont la surface dorée reflétera les créations, amplifiant l’effet ostentatoire.
On pourra aussi observer les costumes que Dickie a créés et portés pour son personnage de cow-girl. «Ça sera la première fois que j’exposerai des costumes», affirme-t-elle avec excitation. Les visiteurs attentifs pourront donc apprécier le contraste entre la délicatesse des tissus utilisés et les appliqués de broderie, une autre démonstration du conflit entre le vrai et le faux, l’être et le paraître.
La pièce The Get Up complète l’exposition, une sculpture murale, imposante mais délicate à la fois, où se juxtaposent des rouleaux de tissus transparents dont les coloris rappellent les costumes de la vidéo. L’artiste y a installé des milliers de petits pendentifs dorés qui s’animent grâce à de petits ventilateurs placés derrière les étoffes. En résulte un mouvement scintillant qui hypnotisera autant qu’un feu de camp un soir de camping.
Il s’agit de la toute première exposition en sol québécois de Megan Dickie, elle qui a surtout fait voyager son travail dans l’Ouest canadien depuis ses débuts en 1997. Elle se réjouit de pouvoir présenter un nouveau projet à L’Œil de Poisson, un centre d’artistes qu’elle admire à la fois pour «sa programmation et sa volonté de prendre des risques». Elle sera sur place lors du vernissage, avant de s’envoler pour Banff, où elle fera une résidence pour pousser plus loin le lien entre ses sculptures et la danse en ligne.
Blue Skies
Du 7 septembre au 14 octobre
à L’Œil de Poisson