Alexander Calder : sculpteur des possibles
Si plusieurs Montréalais sont familiers avec Alexander Calder grâce à son emblématique sculpture Trois disques (mieux connue sous l’appellation L’Homme) trônant sur l’île Sainte-Hélène, les visiteurs du Musée des beaux-arts de Montréal s’apprêtent à constater l’ampleur de l’héritage artistique qu’a laissé son créateur avec la première rétrospective canadienne lui étant entièrement consacré.
«On a l’impression qu’on connaît Calder, mais on se rend compte que les gens sont familiers avec des aspects différents de l’artiste», estime Anne Grace, conservatrice aux expositions du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). C’est elle qui a assuré le commissariat de cette ambitieuse exposition, conjointement avec l’Américaine Elizabeth Hutton Turner, sous la direction de la directrice générale du MBAM, Nathalie Bondil. «Nous sommes très heureux de pouvoir montrer toute la variété de sa production, sa capacité à inventer et à changer complètement notre conception de la sculpture.»
Il s’agit d’un mandat ambitieux, certes. Mais la centaine d’œuvres présentées ratissent large et font découvrir les délicates compositions au fil de fer du début de la carrière du sculpteur jusqu’aux maquettes de ses imposantes sculptures d’art public de la fin de sa vie (nommées stabiles), en passant par ses bijoux et ses mobiles (soit des sculptures qui intègrent une composante cinétique).
La thématique choisie pour l’exposition, «inventeur radical», sied particulièrement bien à Alexander Calder, né en 1898 et décédé en 1976. Avec ses mobiles, il a introduit le mouvement dans la sculpture (et donc la notion de temps), afin de rendre compte du dynamisme de son époque, marquée par de grands bouleversements. On lui doit également une révolution dans le monde de l’art public, qui était jusqu’alors caractérisé par des statues sur des socles. Avec ses immenses stabiles abstraits s’élevant du sol grâce à des piliers et dont la majeure partie se tient en équilibre dans les airs, les gens ont pu interagir avec son art, lui donnant une dimension rassembleuse. Sur l’île Sainte-Hélène, les danseurs du Piknic Électronik en ont fait la démonstration festive en se réunissant sous L’Homme jusqu’à l’automne 2016 (en raison de travaux au sud de l’île, l’œuvre demeure inaccessible jusqu’en 2019).
Alors que son père et son grand-père étaient eux aussi sculpteurs, Alexander Calder a choisi d’étudier l’ingénierie plutôt que les beaux-arts. Sa formation, couplée à sa pratique artistique, lui a donné «une vision très vaste de ce que l’art pouvait et devait englober», soutient Elizabeth Hutton Turner, jointe par téléphone depuis Charlottesville en Virginie. «Calder n’a jamais adopté un courant, puis il a été en rupture: quel que soit le problème artistique rencontré, il a toujours proposé une perspective très alternative.»
Son amitié avec la crème de l’avant-garde parisienne dès le début de sa carrière – dont le peintre Piet Mondrian et le père du ready-made Marcel Duchamp – n’est pas étrangère à cet état d’esprit. Ce contact avec l’idée d’abstraction lui permet «d’inventer son propre langage tout de suite, ajoute Anne Grace. Tous les éléments étaient là pour qu’il puisse contribuer à l’art de façon assez radicale.»
Comme fil conducteur de la rétrospective, les commissaires ont opté pour un parcours chronologique. L’exposition se divise en quatre sections, chacune mettant en valeur une invention ou un aspect de sa carrière. Fidèle à son habitude, le MBAM a soigneusement réfléchi la scénographie de chacun des espaces. Dans l’un d’eux, les visiteurs devront lever les yeux pour saisir la beauté des mobiles de l’artiste, disposés en une canopée impressionnante. La dernière partie met en scène ses œuvres les plus monumentales, les emblématiques stabiles. Pour rendre compte de la diversité des formes et de l’immensité des œuvres réelles, hautes de plusieurs dizaines de mètres, ce sont les maquettes qui seront présentées, magnifiées sur les murs grâce à des jeux d’ombre dramatiques.
Parmi les œuvres marquantes de l’exposition, on pourra voir Red Lily Pads (Nénuphars rouges), un prêt du Musée Guggenheim, qui bénéficiera d’une plateforme conçue par le Cirque du Soleil et d’une salle à elle seule afin d’en vivre pleinement l’expérience de contemplation.
«La beauté de ses œuvres a quelque chose de presque physique et de très touchant», souligne Anne Grace. Pour sa part, Elizabeth Hutton Turner espère que l’exposition contribuera à ce que Montréal se considère comme une ville Calder, soit «une ville qui épouse la vie, qui accueille l’énergie du changement de manière positive et qui regarde vers l’avenir et ses multiples possibilités.»
Alexander Calder : un inventeur radical
Au Musée des beaux-arts de Montréal
Du 21 septembre 2018 au 24 février 2019