Estée Preda / Erika Soucy : Ce cheval
J’aimais te serrer. J’arrivais derrière toi sur le divan, j’entourais mes jambes autour de ton corps et te collais contre mon ventre, contre ma poitrine. Tu ne bougeais pas vraiment, penchais la tête un peu. Je la flattais et respirais. Une, deux, trois fois… Et j’aurais reconnu entre dix mille humains que tu étais celui qui avait déjà été à l’intérieur de moi. Que tu étais celui qui était toujours moi, encore, un peu. J’aimais prendre le temps de me dire que nous avions été et étions, à nouveau, la même personne. C’est une des seules choses que je ne n’ai jamais remise en question.
J’aime toujours te serrer, mais ce n’est plus pareil. La dernière fois que j’ai tenté d’arrêter le temps tu as glissé d’entre mes bras, t’es défilé comme le chat de Mamie qui manque d’air quand ta sœur lui accorde trop d’attention. Ça ne m’a pas fait grand-chose, je n’ai pas été triste ni déçue de quoi que ce soit… Tu étais rendu là; à me dire que non, nous ne sommes plus la même personne. Et je m’estimais préparée.
En mère sérieuse, j’avais prévu moult scénarios pour qu’on ne me trouve pas les bras ballants face à ton éducation. J’avais prévu pour moi.
Sans soupçonner le deuil.
Il ne s’agit pas d’un mal à guérir par le temps. Il ne s’agit pas non plus de l’une de ces coupures obligées dont on aime se plaindre pour rire, le jour où son enfant part pour la maternelle. «Je n’ai plus de bébé, mon Dieu! Ç’a passé si vite!» Non. C’est un manque plus sournois, un trou qui rend écho la colère.
Chaque soupir que j’échappe, chaque cassure de ma voix, chaque parole répétée pour la centième fois sont une tentative vaine pour te ramener à moi, dans ma chair, et respirer à l’unisson. Je suis bien égoïste.
Bien sûr que j’aimerais que tu t’envoles, bien sûr que je te veux autonome, bien sûr que je souhaite que tu sois un adulte agréable outillé à faire face à toutes situations, mais je ne sais pas comment, autrement qu’à ma manière, je pourrais t’y conduire.
Alors je tiens la bride trop fort du cheval dans ton ventre.
Une bête bruyante, fougueuse, magnifique. Une bête qui ne connaît pas sa place dans le rang. Une bête que je flatterai un jour mais qui, pour l’heure, m’effraie, car j’ai compris une chose à force de la retenir: tu es le seul qui devra la dompter.
Je ne sais pas finir cette lettre. J’ai l’habitude de bien fermer les boucles quand j’écris. J’aime les textes organiques, conséquents, avec une belle chute qui rattrape l’introduction. Le lecteur s’y sent bien, intelligent même, et moi aussi.
Je ne sais pas quoi dire de plus. Je n’ai rien pour conclure, aucune observation, pas de remède pour une fois. Je te laisse le dernier mot.
Que le cheval saute de joie
et que la nuit tombe juste à temps
que la suite soit la lune
comme une fleur*
*Poème de Victor, 10 sept. 2018
Erika Soucy