L'enthousiasme des utopies
Arts visuels

L’enthousiasme des utopies

Que disent les manifestes du siècle dernier sur notre société d’aujourd’hui? Quels échos ont-ils et comment nous parviennent-ils? Au Musée d’art contemporain de Montréal, ce contact se fera par l’installation visuelle de l’artiste allemand Julian Rosefeldt qui remet au goût du jour et en dialogue des écrits historiques.

Flirtant avec le cinéma et la performance, Manifesto est construit en 13 tableaux projetés simultanément sur plusieurs écrans. Présentée dans une douzaine de villes depuis sa création en 2015, l’exposition itinérante est un puzzle formidable qui donne à voir l’actrice australienne Cate Blanchett dans une performance titanesque. Celle-ci se glisse dans la peau de 13 personnages différents, homme ou femme, de l’enseignante au sans-abri, en passant par la mère célibataire ou la punk.

Différents accents, différents vécus, différentes vérités. La comédienne incarne à la fois ces personnes ordinaires dans leur quotidien et les auteurs de ces mots célèbres dans leur éternité.

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©Julian Rosefeldt and VG Bild Kunst 2016

À travers ces voix, une soixantaine de manifestes artistiques se rendent jusqu’à nous sous la forme de monologues. Des textes centenaires qui ont certainement toujours un sens aujourd’hui, mais qui prennent également une allure nouvelle sous l’exercice de collage auquel s’adonne Julian Rosefeldt. Un travail de juxtaposition d’idées, de ferveur, «d’assurance et de fragilité». Des rencontres entre le surréalisme, le dadaïsme, le futurisme, l’art conceptuel ou populaire. La parole combative de chorégraphes, d’architectes, de cinéastes, principalement des hommes. Il s’agissait d’un choix réfléchi qu’une femme porte ces mots, explique l’artiste.

Héritage des manifestes

Avec cette mise en images, Julian Rosefeldt s’interroge sur le rôle des artistes dans la société et l’héritage de leurs écrits et de leurs réflexions à travers le temps. Autant leur résistance que leur influence. Il interroge également l’appel à l’action à travers l’art, soulignant le rapport existant entre celui-ci et la politique. Bien que les textes n’aient pas tous une teneur politisée, ils ne peuvent se dégager de cette sphère, car ils ont tous en commun ce désir de changer le monde et de laisser une trace. Peut-être est-ce là, leur legs.

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© Julian Rosefeldt 2015

L’artiste a choisi aussi de révéler les contradictions de ces œuvres. Pour un même courant, les filiations sont loin d’être les mêmes et des idées s’entrechoquent souvent. Les auteurs ne viennent pas non plus des mêmes époques, donnant à voir la manière dont certaines convictions se transforment, naissent, meurent et renaissent. «Rien n’est original, volez où vous pouvez tout ce qui est source d’inspiration ou qui nourrit votre imagination», écrit Jim Jarmusch. Des paroles que le personnage de la professeure déclame devant sa classe dans le dernier tableau consacré au cinéma.

Le lieu comme symbole

Les lieux de tournage choisis par Julian Rosefeldt sont très expressifs. Ce sont des lieux architecturaux importants à Berlin, des lieux porteurs d’histoire, pour la plupart des sites industriels, comme la tour d’espionnage Teufelsberg. Pourtant, les techniques de construction du récit empêchent les visiteurs, selon l’artiste, de reconnaître ces lieux. Ils deviennent intemporels et entrent dans une relation de complémentarité avec les textes.

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®Julian Rosefeldt 2015

En tant que cinéaste et ancien architecte, Rosefeldt porte une attention particulière à la manière dont la narration s’imbrique dans la scénographie. Une réflexion qu’il poursuit lorsqu’il décide de faire un film indépendant avec les 13 chapitres dans un montage successif et remanié. Cate Blanchett interprète des personnages dans des situations anecdotiques qui épousent ou détournent les courants représentés. La notion de la performance, presque théâtrale, est très apparente dans la démarche de l’Allemand. L’écriture scénique et visuelle, la structure des manifestes et le jeu authentique de Blanchett font de Manifesto une œuvre fascinante. Une sorte de métamanifeste qui nous invite à puiser, peut-être, un peu d’optimisme.

Manifesto
Au Musée d’art contemporain de Montréal

Jusqu’au 20 janvier 2019