La céramique dans l’art contemporain
Après un retour en force chez les artisans ces dernières années, l’engouement pour la céramique se fait à son tour sentir dans l’art contemporain. On dresse un état des lieux avec des artistes qui lui ont fait une place de choix dans leur pratique.
«C’est intéressant de constater que depuis quatre ou cinq ans, il y a une telle résurgence du désir pour la matière et l’artisanat au sein de l’art contemporain», observe l’artiste Lindsay Montgomery, qui présentait cet automne Neo Istoriato au Centre Materia de Québec. Cette réflexion sur la place des métiers d’art dans l’art contemporain a d’ailleurs donné lieu cet été à l’exposition Fait main au Musée national des beaux-arts de Québec, où le médium de la céramique était à l’honneur.
En 2013, la galerie Art Mûr consacrait une exposition entière à la question avec De la porcelaine à l’œuvre. Derrière cette démonstration foisonnante, l’idée était de voir comment les artistes contemporains «se réapproprient les techniques artisanales pour faire des œuvres actuelles», spécifie le cocommissaire et codirecteur de la galerie Rhéal Olivier Lanthier. «Ce qui fait une œuvre contemporaine, c’est le fait que ce soit non utilitaire, que ce soit une œuvre avec un contenu conceptuel et non un contenu à des fins usuelles.»
Le travail de l’artiste montréalais Laurent Craste se trouve précisément à la rencontre entre les métiers d’arts et l’art contemporain. «Je suis vraiment à cheval entre les deux, puisque j’ai une pratique de sculpture, donc d’arts visuels, mais qui repose sur une pratique liée aux métiers d’art parce que je suis vraiment l’artisan de mes œuvres. J’interviens sur mes objets de façon à ce qu’ils passent d’un statut d’objet à un statut de sculpture.» Très conceptuelles, ses créations constituent néanmoins de véritables tours de force techniques et s’inspirent de la grande porcelaine européenne des 18e et 19e siècles, dont il détourne les codes pour poser une critique sur l’objet de collection comme moyen de démontrer son statut.
Cette maîtrise sans faille de techniques anciennes pour subvertir les codes s’applique aussi à la démarche de Lindsay Montgomery, dont le travail pourra être vu à Montréal à La Guilde à compter du 21 février prochain. Céramiste partageant sa vie entre Toronto et Montréal, où elle enseigne à Concordia, elle s’inspire notamment de procédés classiques remontant au 16e siècle pour créer des œuvres grandioses dont le message est infusé de réflexions féministes.
Pour l’artiste québécoise Fanny Mesnard, issue de la peinture et du dessin, la découverte de la céramique comme médium a agi comme catalyseur dans son univers peuplé d’animaux texturés et colorés. Les possibilités amenées par le volume lui permettent de faire dialoguer ses créations dans l’espace par le truchement d’installations. Sa pratique se nourrit de cet aller-retour entre les disciplines: «Le dessin vient s’incruster dans la sculpture, et inversement, la sculpture peut inspirer des motifs qui vont entrer après dans le dessin.»
Cybèle Beaudoin Pilon se consacre entièrement à la céramique depuis sa sortie du Centre de céramique Bonsecours il y a un an et demi. Celle qui se considère comme artiste avec un bagage technique d’artisane croit que la création d’objets utilitaires n’est pas incompatible avec l’art: «Un objet n’a pas besoin d’être dans un contexte muséal ou de galerie pour être une sculpture. Une sculpture peut très bien partager notre quotidien et avoir une fonction utilitaire également.» La recherche des motifs et des couleurs caractérise ses créations.
La Montréalaise d’origine américaine Linda Swanson s’attelle dans sa pratique à révéler des procédés inhérents à la céramique: «Ce sont des matériaux qui ont cette capacité de changer d’état dans le four. Ils passent de l’impermanence à la permanence, de liquide à solide, et ces changements me fascinent.»
Ce contraste entre la souplesse de l’argile et l’immuabilité de la céramique une fois cuite anime également l’artiste Amélie Proulx. Sa pratique consiste à insuffler du mouvement à son médium de prédilection à travers des installations très poétiques qui incorporent des représentations de la nature à des composantes électroniques et cinétiques, ainsi que de la numérisation et de l’impression 3D. «Je me suis toujours considérée comme quelqu’un de mon temps, même si j’utilise un matériau qui est sur la terre depuis des millions d’années.»
Comment expliquer le regain de popularité actuel pour la céramique? Pour Linda Swanson, qui partage son temps entre sa pratique artistique et l’Université Concordia, où elle enseigne et coordonne le programme de céramique, palper la matière reprend son importance dans un contexte où nos vies se passent de plus en plus virtuellement. Comme le disait l’artiste textile Anni Albers du mouvement Bauhaus, qu’elle nous cite pour conclure: «Nous touchons les choses pour nous assurer de la réalité.»