L'art de taire le monde
Arts visuels

L’art de taire le monde

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j’ondule sous les bariolages urbains
des escaliers en colimaçon
mes bottes valsent avec les sacs à vidanges
pieds nus sur les plaques tectoniques des ruelles

je cours

saturation des obscènes
raclements rythmiques
vacarme d’ambulances et d’enfants couchés trop tard
un chien jappe au loin

crier est un réflexe d’appui
mes tempes cristallisées

palpitent

*****

grandir ça débute avec
un coup de synthé
sous les nappes asphyxiantes
tentacules sur la peau
des Gameboy en fleurs

par chez nous les p’tits gars tremblent
fourrés de GAME OVER
se réfugient là
où la lumière persiste

ils vont danser
espérer
leur premier strobe
tomber dans les regards néon
au fond des discothèques ils se frottent se lèchent et quand ils sautent
ça fait des bruits
de Mario Bros

*****

eux c’est moi

je me berce
près du mur
m’agrippe aux jupes de la mémoire
me fredonne
les premières paroles apprises
voix de la mère
silence du père

ils me regardent
et appuient sur PLAY

l’art de taire le monde
en cadeau

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je suis un sous-genre de chimère
fausse note sous les draps
je m’annule au pied du jour

*****

je me destine à l’incertain, ça m’amuse, m’agite les sangs
sans soupçonner les vents qui sifflent les mesures des trottoirs
je me fraie un parcours vers ma provenance

ma capuche se décroche battue de bourrasques

espiègle, elle flotte, boîte percussive, enveloppe de tête où résonne le vide
les passants sursautent
les voitures freinent sur mon passage
je me grise de mon infime pouvoir

je suis chef d’orchestre
la ville se fige sous ma poigne légère

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23h13

parvis de l’église Saint-Roch

mes poings frappent le dos de ta guitare
nos hurlements de fous

scandale en ville

soudain la pluie les cris la police

ma bière ouverte coule dans mon sac
ruisselle le long de ma jambe
un vrai chien fautif, sans poteau pour son pipi

les yeux levés vers la statue de Jésus en or
les bras en croix je prie

j’ai pas eu de ticket, moi

la police me laisse filer
tu me suis

courir
vers le bar le plus proche

la peur assèche

*****

j’partirai pas
tant que j’aurai pas chanté ma toune
pas question
j’tais sur la liste comme tout l’monde

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nos corps sur la piste
discours lancés
inaudibles

on s’agite comme des perdus
plus rien autour
mais nous autres
on s’en sacre
pas vrai?

les assoiffé.es crient
les affamé.es dansent
c’est ainsi

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Oeuvre de Kaël Mercader
Oeuvre de Kaël Mercader

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poser un pied
puis l’autre
nos corps basculent vers l’avant
les bras n’ont nulle part où s’appuyer
genoux tremblants
ATTENTION

on pense
que c’est pour faire rire

perdre le contrôle
comme source de divertissement
criss a sait ben pas danser elle messemble qu’a pourrait faire comme tout l’monde pas obligée d’exagérer osti check-la check-la

personne n’entend nos cris

ÉCROULEMENT
c’est drôle n’est-ce pas

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derrière la porte

une berceuse

comme pour vérifier

que j’existe et que j’arrive

bientôt à la maison

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