Cécile Gariépy : L’important c’est de s’amuser
«Tous les enfants sont des artistes. Le problème, c’est d’en demeurer un en grandissant.» À l’instar de Pablo Picasso, célébrissime auteur de cette citation, Cécile Gariépy est une adulte qui n’a jamais cessé de jouer.
D’abord, il y a ce trait, reconnaissable entre tous, cette façon qu’elle a d’esquisser les corps en nous donnant l’impression qu’ils dansent ou qu’ils volent. Il y a aussi ce goût, ce don qu’elle cultive pour les mélanges de couleurs. Une science, presque. Crayonneuse depuis toujours, Cécile Gariépy en appelle à sa fillette intérieure chaque fois qu’il lui arrive d’empoigner la tablette graphique. C’est d’ailleurs une influence qu’elle revendique. «Quand je fais des petites conférences, je montre toujours [un de mes dessins d’enfant]. C’est un bonhomme qui ressemble quand même pas mal à ce que je fais maintenant. Les lignes sont très rondes, il y a des pois sur les vêtements, des gros sourires. […] Ça fait trois ans que je fais ce métier-là, donc il y a eu une grande période de ma vie où j’ai pas dessiné. Je peux pas dire que je m’inspire à 100% de mes dessins d’enfant, mais disons que c’est comme ma calligraphie.»
Gamine, la Montréalaise s’est entraînée sur les napperons avec les crayons de cire des restos. Des œuvres de jeunesse (c’est le cas de le dire) qui lui ont valu son premier collectionneur: Monsieur Tasso, pour ne pas le nommer, propriétaire de la table du même nom sur la rue Saint-Denis. «Ça lui arrivait d’afficher deux ou trois dessins de ma sœur et moi, mais je ne savais pas qu’ils les gardaient tous. Quand j’ai eu 18 ans, il m’a offert deux grosses enveloppes en carton brun. […] Il est décédé peu de temps après.»
Mais à cette époque, à l’orée de la vingtaine, Cécile caresse pourtant d’autres rêves. «J’ai fait mes études en cinéma et j’ai été réalisatrice pendant à peu près cinq ans, en télé. À TV5, chez Évasion aussi. J’avais du fun, mais quand je suis allée faire ma maîtrise à Paris, j’étais vraiment dans mes petites affaires académiques et j’ai eu envie de faire autre chose pendant que je terminais d’écrire mon mémoire. Je me suis mise à dessiner un peu, à mettre ça sur Instagram et du jour au lendemain, je me suis fait appeler pour faire des illu. J’en revenais pas d’être payée pour faire des dessins!»
«Je ne me serais jamais douté que je ferais ça comme métier»
Fraîchement diplômée, Cécile change de branche. Passée du virtuel au monde tangible en un rien de temps, elle se taillera une place de choix dans les rues de Montréal: au Curling Club de Ville Mont-Royal (une pure merveille), sur un autobus de la STM à l’occasion du festival MURAL, sur le mur de la chocolaterie Avanaa dans Villeray, le long d’une ruelle verte dans le même quartier… Le reste du temps, elle travaille de pair avec les publicitaires pour des campagnes avec des clients de prestige: Google, Apple, Spotify. Un portfolio tout garni qui fait forcément des jaloux.
En janvier dernier, l’illustratrice a rejoint les rangs du club sélect de La Pastèque, cette maison d’édition qui abrite aussi Isabelle Arsenault, les pères de Red Ketchup, Elise Gravel, Geneviève Castrée et Michel Rabagliati. Rien que ça. Le nec plus ultra de la bande dessinée québécoise, en somme.
Intitulé Coup de vent, son premier livre s’adresse à un «très jeune public», du poupon de quelques mois au bambin de trois ans. Évidemment, sa démarche aura (littéralement) été teintée par cette contrainte. «Je voulais vraiment réduire ma palette au minimum pour que ce soit le plus près de l’enfant et le plus accessible possible. En même temps, c’était un défi. Il n’y a que cinq couleurs, mais les petits peuvent toutes les nommer.»
À la fois élancés et voluptueux, les protagonistes qui peuplent les pages de ce nouvel ouvrage sont en tout point semblables à ceux que l’artiste nous a offerts par le passé. Des monsieurs et des dames qui rompent, à leur façon, avec les canons de beauté des présentes décennies. Cécile, voyez-vous, s’engage à diffuser une certaine diversité corporelle dans son travail. «Mes formes sont très simples, mais c’est parce que j’essaie d’être le plus universelle possible. Des fois, j’ai des petits personnages avec des petits corps et, d’autres fois, des gros personnages avec des gros bras ou peu importe… Je n’utilise pas non plus de vraies couleurs de peau. C’est toujours décalé par rapport à la réalité. J’essaie d’avoir une forme d’abstraction pour qu’on ne reconnaisse pas de vraies personnes. J’aime bien colorer les peaux en bleu ou en rouge. Comme ça, n’importe qui peut se reconnaître.»
Coup de vent
(La Pastèque)
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