Paryse Martin : La punk aux gants de soie
Elle a formé toute une génération de diplômés de l’École d’art de l’Université Laval en plus de s’immiscer durablement dans la collection du prestigieux MNBAQ. Les influenceuses, les vraies, comme Paryse Martin, ne sont pas toutes égéries pour des compagnies de maillots de bain sur Instagram.
Elle est posée et accueillante, elle parle sans brusquer. Sauf qu’au-delà de son timbre calme et de ce que suggère son univers pictural peuplé de coquets petits mammifères, Paryse Martin bout sous la surface. Elle fulmine et drape sa rébellion de motifs délicats, voire carrément attendrissants. «Cette fois-ci, je veux travailler sur la subversion. C’est un mot qui est très lourd. Tu me regardes et, clairement, tu ne te dis pas: “Mon dieu que cette dame est subversive!” Bon, tu vois, tu ris. Mais dans les faits, je le suis. Doucement. D’une manière intellectuelle.»
Pionnière à bien des égards, l’artiste aux qualités de pédagogue a notamment pavé la voie à celles et ceux qui teintent leur art de préoccupations féministes. Si pareille proposition créative est aujourd’hui assez courante, c’était loin d’être le cas à ses débuts. «Tu vois, en 1987 ou en 1988, au siècle passé, j’ai fait une œuvre qui était sur le corps de la femme en rapport avec la nature. C’est une œuvre qui a été vue… Comment on dit ça? Comme une œuvre cochonne. […] Quand j’ai fait le Dentier de crocodile, c’était extrêmement subversif, et quand j’ai fait mes phallus ornementés avec des petites roses, des petites feuilles… là, on a vu le pénis: “Ah! Un pénis, une madame qui parle de ça!” Y avait plein d’éléments dont j’avais envie de parler, de portes que j’ai ouvertes, mais je l’ai fait doucement, toute ma vie. Ça prend une vie pour placer une œuvre.»
Engagée depuis trois décennies, clairement à l’avant-garde, la sculptrice native du Maine s’est souvent fait prêter des intentions. Elle s’en est accommodée, clopin-clopant, jusqu’à ce que le vent tourne. Maintenant, «c’est le fun», confie-t-elle. Le public semble l’avoir rattrapée et pleinement comprise. Enfin.
Du corpus qu’elle présentera chez les galeristes Norbert Langlois et Abdelilah Chiguer, les concepts de chaos et d’astronomie, intrinsèquement liés à son écoanxiété, s’imposent comme des thèmes récurrents. «Moi, ça fait longtemps que ça fait partie de mon travail. Ça fait des années que la nature est vraiment le sujet premier. Pas nécessairement parce qu’on a une réflexion là-dessus, mais parce qu’on occupe, selon moi, une position particulière. On oublie qu’on fait partie de cette nature-là. Moi, c’est la base de ma philosophie de vie.»
La fée marraine
Paryse Martin est de ces adultes, les rares, qui n’ont jamais tué leur enfant intérieur. Lorsqu’elle dessine, le monde qu’elle crée nous ramène aux contes, aux fantasques personnages qui peuplent son imaginaire depuis qu’elle est toute jeune. Du cahier d’études qu’elle nous présente, on remarque ses personnages aux chaussons de lutins, ses crinières interminables et, à la manière de Rapunzel, ses potions préparées par des mains picotées. La magie est omniprésente chez elle. «Tu vois, quand je te parle de subversion… L’offre de vie actuelle, moi, ça me convient pas nécessairement donc je la reformule. C’est aussi ça, l’acte d’être une sorcière, refaire des mondes parallèles. C’est vraiment ça.»
Quand elle ne s’applique pas à réécrire les règles, la fascinante alchimiste tâche de les faire appliquer tout en s’efforçant de laisser suffisamment de place à ses élèves pour qu’ils en viennent à s’épanouir, à se trouver à leur tour. «Je ne pense pas que tu deviens un artiste. Je pense qu’il est trop tard quand t’es rendu chez nous. Ils le sont déjà ou ils ne le sont pas. On n’en fait pas, nous autres, des artistes. On accompagne des jeunes dans leurs réflexions, je pense. Tu les reçois. Dans le fond, c’est ça. Tu les reçois, tu les accompagnes, tu les déstabilises un peu. Il faut que tu les aimes, que tu les aimes dans un sens très large.»
Du 18 octobre au 17 novembre
À la Galerie 3
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