Renaud Philippe commente trois photos de son expo Errance sans retour
Arts visuels

Renaud Philippe commente trois photos de son expo Errance sans retour

Les cellules de l’ancienne prison de Québec, un espace assez glauque qui appartient aujourd’hui au MNBAQ, accueillent Errance sans retour, une exposition portant sur le travail du photojournaliste indépendant jusqu’en janvier 2021. 

Actif depuis 15 ans, Renaud Philippe est passé maître dans l’art d’émouvoir. Armé de son appareil, il sillonne le globe en quête de sujets à documenter, et va à la rencontre de peuples souvent ignorés de la communauté internationale. Ses derniers voyages au Bangladesh s’inscrivent précisément dans cette démarche-là.

Sous sa lentille, les Rohingyas, une minorité musulmane persécutée du Myanmar, se racontent et rendent compte de la réalité dans le plus grand camp de réfugiés du monde entier. Un million d’habitants, estime le croqueur d’images, étalés sur 13 petits kilomètres carrés. Et certains sont là depuis une trentaine d’années.

Renaud Philippe s’est assis avec le Voir pour raconter l’histoire des trois clichés particulièrement marquants.

Errance sans retour, Renaud Philippe (Courtoisie: MNBAQ)

« Quand tu arrives dans le camp Kutupalong, il y a du monde partout. Ce sont trois camps, dans les faits, mais ils sont tous collés. Habituellement, quand il y a une crise humanitaire, les réfugiés arrivent plus tranquillement ou en moins grand nombre, mais l’horreur du génocide a fait en sorte qu’en une journée il y a eu 50 000 personnes qui se sont amassées à la frontière. 

Les réfugiés sont arrivés sur le terrain qui est vraiment pas adapté pour recevoir quiconque. Il y a des latrines qui ont été construites dans le bas des pentes, ça a été inondé donc l’eau est dégoûtante. Le vert, c’est de la pollution. Sur cette image, on voit de la lumière qui émane de la tente et je trouve que ça parle des Rohingyas. Ce sont des gens qui ont une résilience incroyable.»

Errance sans retour, Renaud Philippe (Courtoisie: MNBAQ)

« C’est un match de soccer qui se passe en plein milieu d’une rivière. Un moment de vie dans le camp où les gens s’installent sur le pont, parce que des infrastructures commencent à se bâtir un peu. J’avais les deux pieds dans l’eau et j’étais au beau milieu du terrain de soccer. Ils jouent avec de l’eau jusqu’aux genoux et c’est ça que j’aime de la photo. Je suis dedans, avec eux. J’essaie toujours de créer une proximité, et avec les Rohingyas, c’était facile malgré la barrière de la langue.»

Errance sans retour, Renaud Philippe (Courtoisie MNBAQ)

«Ma rencontre avec cette dame-là, je pense que c’est l’un des plus beaux moments de ma carrière. Elle s’appelle Zorina Khatun. C’est une femme que j’ai croisé lors de mon premier séjour dans les camps, où j’allais d’abri en abri pour aller chercher des témoignages. Je veux pas les arracher, on vient me les livrer. Elle m’a dit ‘’j’aimerais ça te partager mon histoire, je ne l’ai jamais dite à personne.’’ 

On a passé deux heures ensemble dans sa hutte, on a fini en se tenant les mains. On a pleuré. Son histoire est épouvantable. […] Des jeunes bouddhistes nationalistes qui sont entrés dans son village où il y avait 350 familles et tout le monde a été arrêté. Leurs mains ont été attachées derrière leurs dos et les plus jeunes ont été battus par les militaires. Son frère de 25 ans et tous ses neveux ont été tirés à mort devant ses yeux. Elle m’a dit ‘’ils ont rien fait pour mériter ça, c’est juste parce qu’ils étaient Rohingyas.’’ Les soldats ont brûlé plein de gens vivants, des femmes et des enfants, en plus d’incendier toutes les maisons et tous les biens.

Quand je suis retourné dans le camp huit mois plus tard, je l’ai cherchée, mais on m’a appris qu’elle était décédée d’une maladie.»

 

Errance sans retour
Jusqu’au 24 janvier 2021 au MNBAQ