BloguesLe blogue d'Aurélie Lanctôt

Et les héroïnes?

Lorsque pouvoir et argent sont à l’avant-scène, la place des femmes est à l’arrière. C’est du moins ce que j’ai retenu de mon visionnement successif des films American Hustle et Wolf of Wall Street, tous deux en lice pour l’Oscar du meilleur film cette année.

Évidemment, ce sont des films qui remplissent avec brio leur fonction de divertissement. En revanche, la manière dont ils mettent les femmes en scène est à donner des brûlures d’estomac.  Dans les deux cas, on nous parle de pouvoir et d’argent. De la « fièvre de devenir quelqu’un ». Or, il semblerait que les femmes, dans ces univers de ruse et de fric, ne sont pas grand chose sinon des faire valoir dans la quête des héros masculins. Elles sont tantôt des putes, tantôt des ex embarrassantes, des hystériques ou des amoureuses écervelées… Au mieux, elles sont de pâles adjuvantes – mais jamais elles ne sont aussi complexes que le héros qu’elles servent.

Dans les deux films, les femmes sont présentées comme petites et vulnérables. Et alors que même les pires tares des héros masculins sont dépeintes comme le corollaire naturel de leur tempérament vigoureux, les défauts des personnages féminins ne revêtent pas le même vernis glamour. Leurs défauts et faiblesses, s’ils adviennent, les définissent. Ils visent non pas à les rendre plus complexes ou plus humaines, mais simplement à le dénigrer. À en faire des figures dociles qu’on cerne au premier coup d’œil. Des personnages dont la psychologie se résume à une poignée de stéréotypes genrés.

Si les premiers moments d’American Hustle annonçaient un récit portant sur les aléas d’un duo d’amoureux brillants et fougueux, bien que picaresques, on se rabat rapidement sur un schéma narratif beaucoup plus convenu. Un triangle amoureux des plus banals, au sein duquel l’homme s’adonne à des « prouesses »… pendant que « ses femmes », elles, s’évertuent avant tout à le « (re)conquérir ». Les femmes ne sont pas tant orientées vers la quête principale qu’empêtrée dans leurs sentiments. Elles sont donc relégués à une fonction homogène et accessoire. Elles servent le récit de manière machinale, sans qu’on prenne la peine d’approfondir leur caractère. Après tout, ce ne sont que des femmes. Pourquoi se soucierait-on de leur « substance »?

Par exemple, on nous présente d’abord Sydney Prosser (Amy Adams) comme une femme intelligente et ambitieuse. Mais très vite, curieusement, son personnage est « aplati » et réduit aux sentiments qu’elle éprouve pour Irving (Christian Bale), le personnage principal. Et au final, la seule force qu’on la voit exercer est son pouvoir de séduction. Ainsi, d’un personnage a priori doté d’intelligence, on finit plutôt avec une figure interchangeable qui incarne tout bêtement « l’amour passion » et la « soif de (re)conquérir son homme ». Quant à Rosalyn (Jennifer Lawrence), la femme de Irving, on la présente d’emblée comme le cliché de l’épouse perturbée et hypersexuelle… et elle le demeure.

Pour ce qui est de Wolf of Wall Street, le bobo ne se situe pas tant au niveau de la « manière de raconter » qu’au niveau de l’univers qui est dépeint en lui-même. Si les femmes y sont reléguées à des rôles merdiques, c’est peut-être simplement le désagréable reflet de la place médiocre qui leur revient, en réalité, dans un univers foncièrement patriarcal. C’est peut-être donc le système qu’il faille questionner, plus que les choix du réalisateur.

Après tout, c’est vrai : quelle est la place des femmes, réellement, au sein de l’univers décadent de la « haute finance »? Si on avait souhaité mettre en scène une héroïne, de quoi aurait été composé son environnement? Qu’aurait-on mis à la place des prostituées, des explosions de testostérone et des épouses-bibelots? À part une garde-robe démesurée, disons?

À mon avis, les personnages à la Jordan Belfort ne sont pas masculins simplement par hasard ou par cliché cinématographique. Ces personnages sont masculins parce qu’ils dépeignent un univers fondamentalement taillé par et pour les hommes. Le pendant féminin de tels  personnages est un concept flou auquel on peine à associer un « univers caractéristique ». Plus encore : si les personnages féminins qui nous parlent de pouvoir et d’argent sont rarissimes, comparativement à la ribambelle de héros mâles analogues, peut-être est-ce parce qu’il s’agit d’une posture foncièrement « incompatible» avec le genre féminin.

Au sein d’un univers qui s’articule autour d’une certaine conception « ultravirile » du mâle, étroitement liée au pouvoir et à l’argent, les femmes ont par défaut un rôle secondaire. Les stéréotypes masculins sont centraux, et tout ce qui gravite autour s’y assujettit. Les femmes sont donc soit putes, soit épouses, soit monstrueuses… Et c’est à peu près tout. Après tout, comment pourraient-elles être placées au centre d’un système qui leur assigne déjà un rôle de subordination?

Le héros de Wolf of Wall Street n’est donc pas un homme tant par manque d’originalité que parce que son univers tout entier est lui aussi « mâle »; et que si on avait plutôt choisi de représenter une femme à sa place, le récit aurait été radicalement différent, voire impossible. Et à mon avis, c’est bien là le cœur du problème. En ce sens, le genre du héros de Wolf of Wall Street n’est peut-être pas tant un cliché qu’une partie intégrante de la satire proposée par Scorsese. Peut-être, dis-je bien.

Il n’en demeure pas moins que tout ça n’a rien de très probant. Du chemin à faire, disait-on? Ouaip.

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