Aïe. Quel beau merdier que cette histoire de Joël Legendre et de procréation pour autrui. Quel bel exemple de cas typique à ne pas soumettre au tribunal populaire comme ça sans prévenir. Hier, j’ai eu le déplaisir d’écouter la Tribune radio de Tout le monde en parle sur la question: un joyeux mélange de morale un peu réac’, de préjugés, de philosophie à trois sous, de convictions « féministes » bricolées et de mauvaise compréhension des questions de droit qui traversent l’enjeu.
Est-ce que faire un enfant est un droit? Non. Est-ce que la rhétorique du « droit à l’enfant » est boiteuse et mal avisée? À mon avis, oui. La procréation assistée (et pour autrui) doit-elle être encadrée par des lois ? Absolument. Ce qu’elle est, d’ailleurs, au Québec: à travers la Loi sur la procréation assistée, le droit pénal et le Code civil du Québec. Ainsi, lorsque Denise Bombardier, dans sa plus récente chronique, parle du « flou juridique » qui entoure la procréation assistée, je me demande de quoi elle parle, au juste. Le fait que le droit ne sanctionne pas certaines actions ne signifie pas forcément qu’il existe un « flou juridique » sur la question, allons. Mais ça, c’est bien la moindre des âneries qu’on peut lire dans ladite chronique de madame Bombardier. On y reviendra.
Mais d’abord. Est-ce qu’on peut critiquer la posture actuelle de notre droit sur la procréation assistée / pour autrui? Bien sûr. Certains souhaiteraient des mesures plus libérales, alors que d’autres aimeraient qu’on adopte la ligne de la prohibition stricte. Il y a, dans les deux cas (j’imagine), des arguments qui se défendent. Et évidemment, les questions de droits ne devraient surgir qu’en aval d’une réflexion collective plus large et plus profonde. Sauf qu’il n’y à pas à dire, c’est mal parti.
Peut-être, donc, que pour orienter la réflexion, il faudrait commencer par éviter de faire dire n’importe quoi à la loi. Le (formidable) organisme Éducaloi consacre d’ailleurs un article à la procréation assistée, juste ici. Déjà, ça aide à « se faire une tête » à partir de l’état du droit, et non en fonction de quelques appréhensions mal fondées quant à la possibilité de « marchandiser la vie » ou d’instrumentaliser le corps des femmes à des fins onéreuses. En effet, comme on peut le lire dans le billet, le fait de payer une femme pour lui faire porter un enfant constitue bel et bien une infraction. De plus, on ne reconnaît aucune valeur juridique, au Québec, aux ententes conclues entre les couples et les mères porteuses. Cela signifie que si la mère « change d’idée » et désire garder l’enfant, elle le peut. En somme, la femme qui décide de porter l’enfant n’est liée à l’entente ni juridiquement, ni par « l’apât du gain », puisque la rémunération est interdite. Quant à la vente de gamètes, elle est, elle aussi, interdite. Voilà pour ça.
Cela étant dit, si on décidait néanmoins qu’il faut agir pour prohiber, carrément, la procréation pour autrui, puisqu’elle constitue une pratique foncièrement inconciliable avec la dignité humaine, force est d’admettre qu’il s’agirait d’un changement de cap plus que de la « précision d’un flou ». Peut-être serait-ce souhaitable. Je ne sais pas. Il faudra en discuter. Il y a effectivement des éléments qui font tiquer, à travers le processus de procréation pour autrui. Notamment le fait qu’il existe, aux États-Unis, une compagnie qui vend des ovules par catalogue; et qu’il soit légal de les acheter, comme l’ont fait Joël Legendre et son conjoint. Si on ne peut contrôler ce qui se fait ailleurs, devrait-on implanter des mesures pour pénaliser l’achat, à l’étranger, d’ovules par catalogue? Peut-être. Ce serait bien qu’on en discute. Cette idée qu’il serait acceptable de faire commerce des parties/fruits du corps humain a de quoi nous préoccuper, certes.
Sauf qu’actuellement, l’indignation qu’on observe ne se fonde pas tant sur ces considérations que sur un certain malaise face à l’homoparentalité, tout simplement, avec des coups gueule comme ceux de Denise Bombardier; qui parle de la démarche de Joël Legendre et son conjoint comme d’un « fantasme narcissique de gens qui n’acceptent pas les limites physiques de la nature ». Ou encore, dans un autre registre, avec les diatribes de certaines féministes qui, comme l’écrivait magnifiquement ce matin Alban Ketelbuters dans une lettre ouverte au Devoir, « ont déserté le terrain de la politique et du droit pour investir celui de la morale. » Et ça, c’est inacceptable.
***
Et moi, sur twitter, c’est @aurelolancti
Excellent texte. Comme toi, je suis surprise par toutes ces réactions négatives à la gestation pour autrui et à l’homoparentalité. Soudainement, les enfants doivent avoir un papa et une maman qui s’engagent à s’aimer pour toujours. Pourtant, je suis certaine que la plupart de ceux qui dénoncent la gestation pour autrui seraient d’accord pour qu’une femme qui ne veut pas d’enfant et tombe enceinte par accident décide de mener sa grossesse à terme et d’offrir son bébé à des amis qui ne peuvent être parents. Entre un avortement et une grossesse menée à terme qui permettra de créer une famille heureuse, nombreux sont ceux qui pensent que la grossesse est préférable. Alors où est le problème avec la gestation pour autrui, surtout que, comme tu le montres, elle est balisée ?
Si Joël Legendre et son conjoint avait fait appel au privé, on aurait jamais entendu parler de toute cette histoire. Finalement, tout ça parce que ça nous dérange de payer pour que des homosexuels soient parents ? J’ai honte.
J’espère que vous avez honte. Ne pigez quedalle le pourquoi du débat comme vous, moi aussi j’aurais honte.
(P.S. Indices: marchandisation, corps de la femme, pauvreté, exploitation etc…)
Je suis dans l’ensemble en accord avec vous. De ce que je vois, l’un des problèmes semble être la marchandisation du corps de la femme, ce que je ne comprends pas trop d’ailleurs. On s’est battu pour avoir plus de liberté et un contrôle sur notre propre corps (ex. avortement). Mais quand l’on choisit librement de porter l’enfant de porter l’enfant de quelqu’un d’autre, qu’il y ait rémunération ou non, notre contrôle sur notre corps est soudainement mal perçu…
Ce qui me chicote le plus dans le problème en cours est l’absence de valeur juridique de l’entente entre couples et mères porteuses. Si moindrement l’un des partis est de mauvaise foi, la vie de l’autre partie peut basculer assez drastiquement merci.
La planète est déjà surpeuplée et on utilise des fonds public pour aggraver le problème. Il me semble que c’est problématique, non?
PS.: Je suis homosexuel.
Ça fait du bien de lire un billet posé sur la question, sur ce sujet qui fait effectivement déborder la vase et autres boues de partout! Pour avoir moi-même exprimé mon désaccord sur l’utilisation de mères porteuses, j’ai goûté à cette médecine où, d’un côté, on me taxait de réactionnaire homophobe et, de l’autre, on abondait dans le même sens que moi en apportant des arguments homophobes ou économiques auxquels je n’adhère vraiment pas. Il ne s’agit pas simplement d’un débat pour ou contre, puisque cela implique de se positionner sur divers sujets comme l’homoparentalité, la procréation assistée, le recours à une mère porteuse, le remboursement des frais par l’état, etc. Difficile de démêler tout ça, surtout quand le débat devient émotif, comme c’est le cas avec ce genre de question. Personnellement, rien de ce que j’ai lu jusqu’à maintenant ne me permets de répondre à mes questions sur la protection des mères porteuses. La grossesse et l’accouchement n’étant pas exactement comparable à l’éjaculation, qu’arrive-t-il si la santé de la mère est compromise et qu’elle doit, par exemple, cesser de travailler? Si elle fait une dépression post-partum? Si le contrat entre les parties est nul, est-ce dire que le couple commanditaire pourrait la laisser tomber? Et qu’arrive-t-il si l’enfant qu’elle porte n’est plus désiré par le couple, parce qu’il est handicapé par exemple? Et peut-on garantir que le couple n’exercera pas de pressions pour contrôler l’alimentation et la consommation en général de cette femme chez qui on a déposé le « trésor »? Je pose peut-être trop de questions inutiles, mais je trouve regrettable que ces questions de nature féministe soit balayées sous le tapis parce qu’elles portent, par association, les couleurs de l’homophobie.
En parlant de RESPECT, ce qui me paraît mériter réflexion est que ce projet parental commence en bafouant doublement le respect dû aux êtres humains que sont les enfants à venir.
Premièrement en considérant ces enfants comme OBJETS d’une trasaction entre la mère porteuse et les parents adoptifs… transaction sur laquelle ils n’ont rien à dire… Oui les parents adoptifs sont consentants, oui la mère porteuse est consentante, mais les bébés, qui s’en soucie…On sait bien qu’aucun bébé ne signerait un contrat qui l’enlève du sein de la mère qui l’a porté pour être remis à des inconnus… Mais on ne considère pas ces enfants comme des être humains qui ont une volonté, des intérêts et des besoins, sinon comme des objets, que l’on donne, prend, vend ou achète.
La deuxième absence de respect est que l’on bafoue totalement le droit de ces enfants à connaître leurs origines, vue que les procédure tant au niveau des ovules que du sperme efface toute trace permettant d’y accéder. Ces enfants sont condamnés à ne jamais savoir leurs origines avec tout ce que cela suppose au niveau biologique, médical et psychologique. Contre leur gré bien sûr aussi. Ils seront victime toute leur vie de cette procédure qui ne tient en rien compte de leurs intérêts et leurs besoins. Probablement pour satisfaire l’égo de parents adoptifs qui veulent effacer les traces d’une procréation qui peut les incommoder à l’avenir.
Par deux fois, ces parents adoptifs démontrent qu’ils considèrent ces enfants comme des OBJETS à AVOIR et no comme des SUJETS à RESPECTER.
Quand l’amour ne s’accompagne pas de respect, quand l’amour fait de l’autre un objet de possession à la merci de sa toute puissance, toutes les dérives sont possibles…
Parlant de respect…
C’est quand même la première fois dans l’histoire que des particuliers se permettent de planifier de manière libre, consciente, organisée et subventionnée la naissance d’orphelins de mère… et de brouiller volontairement toute piste leur permettant de connaître leurs origines.
Avec toutes les conséquences psychologiques et médicales que suppose ne pas connaître ses géniteurs et ignorer ses antécédents médicaux.
On devrait pouvoir mettre en doute l’éthique de cette démarche et poser des questions quant à ces conséquences sans être qualifié d’homophobe.
Un couple homosexuel est tout aussi respectable qu’un hétéro et tout aussi capable d’élever des enfants…
De là à se permettre, que l’on soit homo ou hétéro, à acheter ovule et sperme sur catalogue, à effacer les traces d’origine d’enfants, à engager des femmes comme incubatrices… il y a un pas qui me semble mériter réflexion.
Mérite réflexion parce que les enfants qui sont au centre de la question n’ont aucun moyen d’exprimer leur nécessité ou désir de rester auprès de la femme qui les a portée et n’ont aucun moyen de reufuser qu’on efface les traces de leur origine. Aucun moyen non plus de choisir eux de quels donneurs il vont provenir…
La société a le devoir de se prononcer et de fixer des limites sur ce que l’on peut faire et ne pas faire avec des enfants… comme dans de nombreux autres domaines où tout n’est pas laissé au bon vouloir et à la toute puissance des parents.
Il semble que ce ne soit pas aussi clair, dans un article du Devoir, Antoine Robitaille rappelle le jugement de la cour Supreme de 2010.
«Quant aux mères porteuses, on a longtemps cru que le Code civil nous protégeait contre cette pratique, du moins contre les contrats établissant sa marchandisation. Mais dans un jugement complexe en 2010, la Cour suprême a fait prévaloir la loi fédérale, laquelle autorise le remboursement de dépenses aux mères porteuses…
http://www.ledevoir.com/societe/justice/406478/f
Très bon article qui pose les bonnes questions mais qui, encore une fois, ne peut s’empêcher d’attaquer des personnes avec qui l’auteure n’est pas d’accord. Il est clair que les lois actuelles ont été faites à la va-vite sans en mesurer toutes les conséquences. Mais il aussi est vrai que la commande par Joël Legendre et son conjoint d’une paire de bébés sur catalogue où on choisit l’ovule par rapport à des critères comme le physique de la mère n’est pas un geste de don de soi et d’altruisme.
Qu’est-ce qui est inacceptable? Vous dénoncez un certain féminisme en citant un texte que j’ai lu et qui ne fait que prôner une approche néo-libérale du sujet évitant commodément les questions d’inégalités de classe ou de sexe. Où dans le grand marché de la consommation, louer son corps ou sa voiture revient au même. Se poser des questions sur certaines pratiques et les dérives de l’exploitation possible (et probable) du corps des femmes (plus souvent qu’autrement pauvres et/ou vulnérables) serait à proscrire car allant sur le terrain tabou de la morale? Pourtant, vous affirmez plus tôt ‘cette idée qu’il serait acceptable de faire commerce des parties/fruits du corps humain a de quoi nous préoccuper, certes’. Pourquoi cela nous préoccuperait-il?