Avant
tout, précisons de quelle droite je ne parle pas. Il ne s’agit pas ici
de la droite religieuse, qui veut élever un certain code moral en loi
d’application générale. Pas question non plus de la droite xénophobe,
qui refuse la différence et veut imposer une uniformité culturelle. Et
je ne parle pas de la droite je-m’en-câlice, enragée de payer pour les
autres, et qui ne rêve que de baisses d’impôts.
Toutes ces droites existent mais leurs méchancetés particulières ne m’intéressent pas aujourd’hui.
La
droite dont je veux parler, c’est celle du libéralisme politique et
économique — une philosophie qui consiste à limiter autant que possible
les interventions de l’État pour favoriser la liberté et la
responsabilité individuelles. S’il est vrai que nous assistons
actuellement à une montée de la droite au Québec (quoique certains en doutent), je crois que c’est surtout de cette droite dont il s’agit.
Sans
surprise, cette visibilité nouvelle a été accueillie par un concert de
critiques venant du camp gauche: on se désole de l’attention accordée à
quelques “déconnectés” à la “santé mentale fragile”; on crée des alliances pour faire face à l’ennemi; on dénonce des gens décrits comme dangereux.
(La droite et la gauche s’entendent sur un point: les idées de l’autre sont dangereuses.)
Les
“droitistes” s’attirent ces attaques parce qu’ils ne sont pas
particulièrement gentils. Ils n’accordent pas beaucoup d’importance aux
bons sentiments, convaincus que la loi du plus fort et la recherche de
l’intérêt personnel prévaudront toujours quand ça compte. Ils respectent et vantent la logique des chiffres.
Ils considèrent que certaines inégalités sociales sont la conséquence
inévitable d’une liberté individuelle nécessaire. Et ils n’aiment pas
trop les rêveurs utopistes, ce qui explique peut-être leur impopularité
auprès des artistes. (Cela dit, comme rêveurs utopistes, les
libertariens se tirent très bien d’affaire.)
Les droitistes observent la société et ses problèmes avec un certain détachement et préfèrent généralement “laisser faire”
qu’agir — de peur qu’une intervention de l’État engendre des
conséquences pires que le problème qu’on voulait corriger. Ils croient
que les individus, plus ou moins laissés à eux-mêmes, sont les mieux
placés et les plus aptes à gérer leur vie.
Et ils croient que les sociétés formées d’individus autonomes et
responsables sont plus fortes que les sociétés dont les citoyens sont
dépendants et régimentés. (Les droitistes sont comme les garçons de huit
ans et plusieurs filles que je connais: ils préfèrent les cowboys aux
fonctionnaires.)
Pour
la droite, les militants de gauche sont un peu comme des apprentis
sorciers qui croient naïvement pouvoir transformer le monde à coup de
règlements, de taxes et de subventions, mais qui se frapperont tôt ou
tard aux réalités immuables et incontournables de l’offre et de la
demande, de la concurrence, et de certaines lois de la nature.
Évidemment,
la droite se trompe parfois spectaculairement. Les changements
politiques opérés pendant la Révolution tranquille étaient fortement
interventionnistes (et soulèveraient sans doute l’ire de la droite
aujourd’hui) mais leur contribution à l’avancement politique et
économique du Québec est indéniable. La déségrégation forcée aux
États-Unis était une vaste entreprise d’ingénierie sociale par le
gouvernement, mais aujourd’hui on entend peu de conservateurs pester
contre Brown v. Board of Education et le Civil Rights Act.
Et même si les causes sont complexes et les avis partagés, on peut
certainement avancer que la dernière crise économique a été causée (entre
autres) par une déréglementation excessive, et non l’inverse.
Par contre il arrive que la droite ait raison. Les échecs successifs des économies planifiées
ont durablement tempéré les ambitions anticapitalistes des grands
partis de gauche. Certaines revendications syndicales semblent ignorer les impératifs de la concurrence, avec des conséquences sérieuses. L’inefficacité et la lourdeur bureaucratique
de certains ministères ne sont plus à démontrer. Et certaines réformes
et programmes gouvernementaux dégagent une forte odeur de gaspillage ou de futilité.
Mais pourquoi tous ces mots sur la droite pour commencer l’année?
Parce
que 2011 pourrait bien être l’année où le débat gauche/droite déclasse
les chicanes entre fédéralistes et souverainistes au Québec, et qu’il
semble essentiel de comprendre les idées de chacun pour que le
débat transcende les insultes qu’on se lance allègrement de part et
d’autre.
Parce
que, qu’on soit d’accord avec elle ou non, la droite a un rôle
politique à jouer, au Québec et ailleurs, ne serait-ce que pour garder
la gauche responsable et lui rappeler les risques posés par ses excès
d’enthousiasme.
Et parce que, pour toutes sortes de raisons — alarmisme, attaques ad hominem,
maladresse de certains de ses propres porte-étendards — il me semble
que les idées libérales ont été injustement déformées et caricaturées
depuis quelques mois au Québec, ce qui n’est une bonne nouvelle pour
personne, qu’on soit un sans-coeur de droite ou un rêveur de gauche.
La méchante droite
Jérôme Lussier