Question à 1000$ pour les consommateurs de blabla médiatique: qu’est-ce qui rend une opinion crédible?
Son objectivité?
Sa transparence?
La célébrité de son auteur?
Ses titres professionnels?
L’intelligence de l’argumentation?
Aucune de ces réponses?
Vaste sujet, dont on ne fera pas le tour en une chronique.
Ce premier commentaire sur la question est inspiré par la récente sortie
de Maxime Bernier contre une commission des valeurs mobilières
nationale (pourtant soutenue par son parti et son chef), et la
critique du discours du président Obama à Tucson par Peggy Noonan, chroniqueure Républicaine influente, qui n’a pourtant pas hésité à vanter le président Démocrate.
Dans un cas comme dans l’autre, ces déclarations ont retenu l’attention
parce qu’elles semblaient, a priori du moins, contraires à la cassette
prévisible qu’on entend trop souvent de la part des politiciens et
chroniqueurs.
Personnellement, ces interventions m’ont rappelé une règle de droit de la preuve en common law. (Pour ceux que les technicalités juridiques n’intéressent pas, svp sauter les deux prochains paragraphes.)
Devant
la cour, un témoin n’a normalement pas le droit de relater, comme
preuve de leur contenu, les propos tenus par une tierce personne qui
n’est pas disponible pour être contre-interrogée. C’est ce qu’on appelle
la règle du ouï-dire,
qui garantit (en principe) que les juges rendent leurs décisions en se
basant sur des faits vérifiés, après avoir entendu les deux parties, et
non pas en se fondant sur des racontars dont la crédibilité ne peut être
testée. Autrement dit, un témoin ne peut pas se présenter à la barre et
affirmer à titre de preuve que “mon ami Gaston m’a dit qu’il a vu
l’accusé tuer sa femme”. Pour que la preuve soit recevable, c’est Gaston
lui-même qui doit témoigner de ce qu’il a vu, pour pouvoir être
contre-interrogé.
Il existe toutefois des exceptions à cette règle du ouï-dire, dont celle de la “déclaration contre intérêt”.
L’idée est que, même si on refuserait normalement d’admettre en preuve
des déclarations faites hors-cour quand on ne peut en interroger
l’auteur, on acceptera quand même des déclarations quand celles-ci vont contre
l’intérêt du déclarant, quand ce dernier ne peut témoigner directement.
Autrement dit, si un témoin affirme en cour que “quelques heures avant
de s’exiler en Sibérie, Gaston m’a dit qu’il avait tué sa femme”, on
acceptera le témoignage, même s’il s’agirait normalement de ouï-dire.
L’idée est que si un individu affirme quelque chose de contraire à son intérêt
(comme sa culpabilité criminelle), l’affirmation doit être considérée
comme crédible, parce qu’une personne normalement constituée (ce qui n’est pas le cas de tout le monde)
ne mentirait pas pour s’incriminer. La règle est un peu cynique
(certains diront réaliste): elle présume que les gens sont prêts à
inventer n’importe quoi pour aider leur cause, mais qu’ils ne
mentiront pas pour se foutre dans le pétrin.
C’est
ce dernier point qui semble applicable à la politique et au commentariat en général:
les opinions a priori contraires à l’intérêt de leur auteur seront
toujours plus crédibles que celles qu’on pourrait croire intéressées.
Dans les faits, ça veut dire que les riches qui veulent (prévisiblement) des baisses d’impôts seront toujours moins crédibles et écoutés que les riches qui veulent (étonamment) les augmenter. Ça veut dire que quand les syndicats veulent (prévisiblement) renforcer le code du travail pour servir leurs intérêts, et que le Conseil du patronat veut (prévisiblement) le relaxer
pour servir les siens, on change de poste. Ça veut dire qu’on se
fout pas mal des péquistes qui (prévisiblement) critiquent les libéraux
et des libéraux qui (évidemment) critiquent les péquistes, mais qu’on
écoutera avec intérêt quand un libéral dira qu’un péquiste est honnête
et propose des choses intéressantes, et vice-versa. Ça veut dire que
personne ne tombe de sa chaise quand l’Institut économique de Montréal
propose de déréglementer ou privatiser, ou que Québec Solidaire propose
de réglementer ou nationaliser.
Évidemment,
ce n’est pas parce qu’une personne ou un groupe exprime une opinion
conforme à ses intérêts ou ses orientations que cette opinion est nécessairement fausse ou
sans valeur. Elle peut être parfaitement légitime et défendable. Mais il
est clair que, dans l’esprit du public critique, la prévisibilité
intéressée des prises de position nuit à leur crédibilité et leur
intérêt.
Un
conseil aux rédacteurs de discours, relationnistes et commentateurs de
tout acabit: si vous voulez capter l’attention du public, étonnez-nous
donc une fois de temps en temps.
La crédibilité — vol. 1
Jérôme Lussier