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Pourquoi Gaston voterait-il pour le Bloc?

Plus tôt aujourd’hui j’ai posé la question suivante sur Twitter:

"À part isoler le Québec et maintenir les Conservateurs au pouvoir, à quoi ça sert de voter pour le Bloc au fédéral?"

La
question était un peu baveuse mais de bonne foi, et le déluge n’a pas tardé. On m’a
rappelé
les principes de la démocratie. On a tiré sur le messager. On
m’a averti qu’au Québec, apparemment, on n’a pas le droit de poser ce
genre de questions. Mais j’ai envie de la poser quand même.


Ce
qui m’intéresse dans cette question (comme dans d’autres) c’est de
comprendre pourquoi les gens votent comme ils votent, et pourquoi ils
pensent ce qu’ils pensent. Les motivations politiques, autrement dit,
qu’on ignore trop souvent dans la couverture politique obsédée par les
sondages et le spin.


Gaston
vote-t-il pour les Conservateurs pour promouvoir un agenda religieux,
pour favoriser les libertés individuelles ou pour défendre l’Arctique?


Vote-t-il pour les Libéraux par nostalgie des années 90, pour l’amour de
la Charte canadienne, ou parce que Denis Coderre est sympathique?

Vote-t-il NPD
pour des raisons de justice sociale, parce que ses amis sont militants
du parti, ou parce qu’il trouve que Thomas Mulcair est le meilleur
candidat pour Outremont?

Et aujourd'hui je me demande: Pourquoi Gaston voterait-il pour le Bloc?

Il
faut comprendre que la question que je pose n’a, a
priori, rien à voir avec la souveraineté. Évidemment, les fédéralistes
ne voteront jamais pour le Bloc. Mais, au risque de passer pour un
imbécile, je ne comprends pas vraiment quel intérêt un souverainiste du
Québec aurait à voter pour le Bloc non plus.

Un
souverainiste de gauche pourrait voter Québec Solidaire au provincial
et NPD au fédéral. Un souverainiste de centre pourrait voter PQ au
Québec et Libéral au fédéral. Et un souverainiste de droite pourrait
fonder et voter pour un parti souverainiste de droite au Québec, et
voter Conservateur au fédéral.

Dans
l’éventualité d’un référendum au Québec, ces trois individus voteraient
pour l’indépendance. En attendant, ils influenceraient la politique
fédérale dans le sens qui leur convient, et si possible dans l’intérêt
du Québec.

Pour
moi, vous l’aurez compris, la question nationale n’est pertinente que
dans le contexte d’une élection provinciale. C’est le gouvernement du
Québec qui pourra, ou non, tenir un prochain référendum, et militer
pour, ou contre, la souveraineté. Il est normal (quoique lassant) que
les élections québécoises se décident en grande partie sur la base de la
souveraineté, et il est tout-à-fait légitime de voter pour le Parti
Québécois, Québec Solidaire ou le Parti indépendantiste

pour cette raison. C’est ce que les gens font depuis 40 ans et, outre
le fait qu’on tourne souvent en rond, il semble que la question
demeurera pertinente encore longtemps.

À
Ottawa, par contre, il me semble que cette question n’a pas vraiment sa place. L’arène
politique fédérale fonctionne largement sur l’axe gauche/droite, avec
des variations régionales. Je ne vois pas comment un parti souverainiste
qui n’aspire pas à gouverner le Canada pourra concrètement et efficacement faire
avancer les intérêts du Québec en demeurant volontairement, et
éternellement, dans l’opposition. (Le NPD est aussi plutôt confiné à
l’opposition, mais au moins il vise le pouvoir, influence les autres
partis et peut crédiblement rêver à un gouvernement de coalition).

Depuis
l’émergence du Bloc à Ottawa, la présence et la voix du Québec au sein
des gouvernements du Canada ont forcément été réduites: peu de députés
dans le parti au pouvoir, peu de ministres, et de moins grande
influence. Faut-il s’étonner que le gouvernement fédéral ne prenne pas
au sérieux les demandes du Québec quand il n’y a pratiquement personne
au cabinet pour les défendre et que, de toute façon, les conséquences
politiques de cette négligence seront pratiquement nulles?

En
votant massivement pour le Bloc, élection après élection, les Québécois
font le choix de refuser le pouvoir à Ottawa. C’est leur droit. Mais je
ne vois pas en quoi cela favorise les intérêts du Québec — à moins que
l’on considère que le seul intérêt du Québec soit d’être isolé au sein
du Canada, en attendant la souveraineté.

Si
c'est le but, alors le Bloc pourra se féliciter d’avoir
accéléré l’avènement d’un Québec indépendant en exacerbant la
marginalisation de la province et en creusant davantage les deux
solitudes canadiennes. Si par contre le Québec n’accède pas rapidement
(ou jamais) à la souveraineté — et pour le moment rien n’indique que
l’indépendance soit imminente — la seule conséquence de la présence du
Bloc à Ottawa aura été d’affaiblir le Québec au sein du Canada.

Même
pour un souverainiste — qui devrait normalement espérer un Québec
le plus fort possible — je ne comprends pas en quoi ce pari risqué sert
les intérêts du Québec.