Au cours des prochaines semaines, il est possible que vous entendiez des promesses et des arguments en faveur d’un parti politique ou un autre. Ça arrive, pendant les élections.
Selon les candidats et les journées, on fera appel à votre raison (officiellement) ou à vos sentiments (sans le dire). On avancera des chiffres et des comparaisons, des références historiques et des projections futures.
Toutes ces choses sont intéressantes et méritent qu’on s’y attarde. Mais elles occultent une dimension essentielle de la politique: son côté viscéral et émotif, imperméable à toute rationalisation.
Ces prémisses philosophiques ou identitaires existent partout — à droite et à gauche, chez les souverainistes, les fédéralistes et les autres — et à mon avis elles déterminent les comportements politiques bien davantage que toutes les considérations nominalement “rationelles”.
Ci-dessous un petit voyage au coeur de deux émotions politiques puissantes.
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À 21 ans, j’ai travaillé dans un restaurant semi-branché du boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Le resto était formidablement mal géré, par un proprio qui venait de perdre tout son staff quand j’ai été embauché – avec pas d’expérience – en compagnie d’autres incompétents, jeunes et moins jeunes.
Quelques semaines plus tard, sa business toujours en déroute, le proprio a décidé d’embaucher un « gérant expert » pour essayer de redresser la situation (sans succès).
Le gérant en question s’est avéré être un gros et grand jambon de 50 ans, pur produit de la culture mononcle des steakhouses les plus rétrogrades. Un trou-de-cul à qui on avait donné carte blanche, impatient de jouer les dictateurs de basse-cour. Il a pris sa première décision quelques heures après son arrivée: “Le Noère à la plonge, on va câlicer ça dehors. Les clients aiment pas ça. Ça fait sale.”
Je ne me rappelle plus du nom du plongeur, arrivé quelques semaines plus tôt. Il faisait bien son travail. La décision de le renvoyer était une injustice absolue — raciste, assumée et publique — le fruit d’une conception du patron comme boss des bécosses au-dessus des lois et des principes, libre d’exploiter et gâcher des vies en toute impunité.
Ce jour-là, j’ai eu envie de sauter à la gorge du gros jambon, puis d’aller régler leur compte à tous les gérants du boulevard Saint-Laurent, avant de m’attaquer aux banquiers, aux méchants, et à tous les exploiteurs du monde.
J’avais 21 ans. J’étais étudiant en littérature. À tort, j’avais le sentiment de ne pouvoir rien faire, sauf avoir honte et mal au cœur. Mais c’est à cette époque que j’ai commencé à penser faire des études juridiques. Parce que si on ne peut pas décapiter les gérants racistes en pleine rue, on peut au moins imaginer une société de droit, où l’injustice et l’exploitation ne seraient pas tolérées.
L’instinct de la gauche révolutionnaire, c’est ça. Il m’habite encore.
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Presque 15 ans plus tard, de manière moins dramatique, une anecdote insignifiante a cristallisé en moi un autre instinct.
En décembre dernier, on apprenait que la Ville de Montréal avait décidé de ne pas faire de patinoire dans certains parcs où on en trouvait par les années passées. C’était une question de rationalité administrative. En soi, une petite affaire.
Ce qui m’a dérangé dans cette histoire, c’est de constater que, sans implication de la ville, les gens du quartier étaient apparemment devenus impuissants. Impossible de ramasser une dizaine de gars pour construire et entretenir la patinoire: il aurait fallu un permis, des assurances, des consultations, des autorisations, etc. Et l’esprit d’initiative. Or l’idée même de s’organiser spontanément entre voisins et amis semble avoir largement disparu.
À notre époque, pour construire ou rénover une maison, vous avez besoin d’un permis, d’une police d’assurance, et d’employés certifiés de multiples associations. Pour avoir une place en garderie, vous devez vous inscrire et attendre des années sur des listes d’attente. Pour ouvrir une garderie, il faut des autorisations qui prennent souvent plus d’un an à obtenir, alors même que les besoins sont criants. Vous ne pouvez plus fumer où vous voulez, vous devez porter votre ceinture de sécurité en voiture et bientôt votre casque de vélo, et ça vous prend un permis pour aller à la pêche ou pour conduire une chaloupe à moteur. Le droit de travailler est régi par un labyrinthe de permis, de certifications, de syndicats, d’actes réservés et d’ordres et de titres professionnels, auquel on veut encore ajouter. Les entrepreneurs sont assujettis à un dédale de règlements qui contrôlent tout, du nom de l’entreprise aux activités permises en passant par la langue de travail. On contrôle le contenu des radios et des télés, on prend vos empreintes digitales aux frontières et on essaie de plus en plus de décider ce que vous pouvez manger.
Derrière chaque geste qu’on pourrait vouloir poser – personnel, commercial ou politique — il semble qu’un ministère, un secrétariat, une régie, une direction régionale, un règlement, une convention collective, un code, une administration, un bureau ou une société quelconque attend d’intervenir pour vous mettre des bâtons dans les roues ou vous enfarger dans les fleurs du tapis.
Prises individuellement, la plupart de ces milliers de règles sont sans doute justifiables. Je n’en doute pas.
Mais une fois additionnées et multipliées, on finit par suffoquer. On fantasme sur moins de cadre et plus de coudées franches. On se prend à rêver d’un mythique Far West, apparemment plus sauvage, où on n’avait pas besoin de permis pour construire une patinoire pour ses enfants, où on ne recevait pas de contravention parce qu’on joue au hockey dans la rue, et où les gens étaient maîtres et responsables de leur vie.
Ça, c’est l’instinct de la droite libertarienne. Il m’habite aussi.
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Le grand défi des sociétés contemporaines semble être de trouver un équilibre entre ces deux instincts — légitimes et parfois contradictoires — pour éviter à la fois l’injustice de l’exploitation arbitraire et la suffocation d’un état tentaculaire.
Vaste programme, comme dirait l’autre.
Et puis, comme il fallait s’y attendre, ça ne va pas mieux. Nulle part.
Même que toutes ces règlementations nuisent à tout le monde. Ou, à la rigueur, ne profitent qu’à une pléthore (hélas grossissante) de sous-fifres s’affairant à « administrer » le tout.
En plus de coûter des sommes colossales.
Des sommes qui auraient pu servir à soulager ici, à améliorer là. Mais qui ne font, avec l’emballement de la Maudite Machine (réf. au groupe Octobre…), qu’ajouter davantage de misère à ce qui réclamerait pourtant de toute urgence un peu d’apaisement. Un petit rayon de soleil, au moins de temps à autre.
Les politiciens? Même leurs promesses les plus sincères se révèlent, en pratique, le plus souvent irréalisables. Lorsque ce ne sera pas parce que c’est l’engrenage de la Maudite Machine qui cause un empêchement, ce sera alors le politicien de l’autre camp qui s’emploiera à dénoncer vertement le moindre remède.
Parce que le remède de l’autre, c’est toujours un poison.
Et les années passent…
Quand j’étais petit, vers 1950, j’habitais en face d’un parc. Un de mes grands plaisirs était d’aller grimper avec mes amis dans les grands arbres qui le ceinturaient. J’arrivais même, par un excès de hardiesse, à me rendre jusque dans les branches les plus hautes. L’énorme joie que j’éprouvais alors d’être au plus haut arrivait à engourdir totalement le vertige, la peur de tomber. Jamais le « gardien » du parc ou quelqu’officier de police n’est venu de réprimander. C’était dans les années les plus sombres de la Grande Noirceur, où le cardinal Léger sévissait chaque soir avec son chapelet en famille.
Un bien curieux paradoxe en effet, quand je compare avec aujourd’hui. Essayez donc d’aller grimper dans un arbre, au Parc Lafontaine, mettons. Vous verrez alors surgir le diable sait d’où une armée de policiers, de gardiens de parc et autres écolos verdâtres venir immédiatement vous intimer l’ordre de « descendre de là », avec amende salée et autres réprimandes du genre » vous blessez les branches des arbres » etc…
Nous sommes en 2011, en cette année d’élection dans un pays fictif qui ressemble de plus en plus à la province qu’elle était en 1950, une province où la gauche fonctionnaire syndiquée jusqu’aux oreilles est la détentrice absolue de ce qui est convenable ou pas sur la place publique.
Son chapelet de règlements ressemble à l’autre des années 50, et les nombreuses grèves illimitées ne sont pas loin de me rappeler les terribles châtiments des curés contre nous les pêcheurs récalcitrants.
Jouer au hockey dans la rue, nous diront les garde-chiourmes de cet empire laïque , ça ne se fait plus. Allez donc jouer dans nos arénas si bien entretenus par nos cols bleus où il fait si bon patiner sur des glaces parfaitement artificielles…
En haut des tripes et plus proche du coeur, nous avons une tête, au plus haut de notre corps. Cette tête, elle est totalement évacuée en politique aujourd’hui, tout occupés que sont nos politiciens, à gauche comme à droite, à y instiller le mépris et la diabolisation. Entre le coeur et le ventre, au Québec de 2011, c’est la trouille qui règne. La peur de grimper vers le pays réel, un arbre trop haut pour nous, comme s’échigne à nous le faire accroire la pauvre Duceppe, grimpé comme un exilé sur un érable à Ottawa qui ne nous ressemble pas.
La dernière fois, j’ai annulé mon vote. Aujourd’hui je sais pas. Le Parti Rhinocéros est affairiste, dans facebook, sur Internet, etc, il se veut drôle alors qu’il est grotesque. Il n’a plus rien du docteur Ferron, qui fut médecin dans l’armée canadienne, tout en étant québécois, de tendance Hochelaga.
Je pense que je vais voter pour l’homme, dans mon comté. Peu importe son parti. Je ne lui demande qu’une chose, une seule promesse. Qu’il me laisse grimper aux arbres, dans le parc devant chez-nous, comme quand j’étais un enfant…
Faites tout de même très attention, Monsieur Bourbonnais!
Parce que, si vous tombiez de votre arbre, cela pourrait s’éterniser aux urgences de l’hôpital…
Notre jeunesse heureuse et insouciante a foutu le camp. Ce qui était simple, normal et aisément compréhensible à l’époque des années 50 et 60, est devenu complexe, suspect et terriblement inintelligible à présent.
Comme quoi il faut toujours profiter des bons moments lorsqu’ils ont le bonheur de se présenter. Parce qu’il n’est pas du tout certain qu’ils se représenteront.
Comme vous avez donc raison, monseur Perrier!
Grimper aux arbres c’est comme tomber en amour.
Tout le plaisir fou, le vertige sont dans la montée!
Le reste n’est que littérature…ou politique partisane!!