Soudain,
tout le Québec parle de rajeunir la politique. Tant mieux. Battons le
fer pendant qu’il est chaud, la douche froide viendra bien assez vite.
Au
cours des dernières semaines on a d’abord assisté à une chicane
“générationnelle” entre Québec Solidaire et le Parti Québécois,
elle-même conséquence du balaiement du Bloc Québécois par les (souvent
jeunes) poteaux du NPD, le 2 mai dernier.
Puis
vint le schisme au PQ: démission de trois (plutôt vieux) députés d’un
parti devenu apparemment “irrespirable”, suivie de la réplique de douze
“jeunes” députés péquistes adressée au “vieillard malfaisant”, suivie de
sa réponse dans laquelle, entre autres, il leur refuse leur statut de
“jeunes”.
Tout
ceci avec, comme vacarme de fond, la visibilité croissante de Québec
Solidaire, du Réseau Liberté-Québec, et de la Coalition Legault-Sirois
— tous perçus, à tort ou à raison, comme des alternatives “jeunes” aux
“vieux partis”.
* * *
Mais à quoi donc pourrait ressembler cette politique rajeunie dont tout le monde parle?
Évacuons d’abord
ce que ce n’est pas. Ce n’est pas d’être de gauche ou de droite. Ce
n’est pas d’être souverainiste, fédéraliste, altermondialiste ou
nombriliste. Ce n’est pas d’être pour ou contre la Formule 1, le nouveau
colisée ou les PPP. Il y a des jeunes — les moins de 30 ans? les moins de 40
ans? — dans tous ces groupes, et aucun ne peut prétendre parler au nom
d’une génération entière.
S’il existe réellement une “politique de jeunes” — et rien n’est moins certain — c’est dans la manière de faire la politique, et non dans un agenda quelconque qui serait commun à tous.
* * *
Je
vois personnellement quatre principes en train d’émerger comme
fondations potentielles d’une manière politique renouvelée. Ce sont des
idées strictement non-partisanes et pas nécessairement nouvelles:
certaines font déjà partie de plateformes politiques, et d’autres
étaient au coeur même des chicanes politiques mentionnées plus haut.
1. Assouplir la ligne de parti
Les
jeunes (et les moins jeunes) veulent une politique authentique, où
députés et candidats ne se réduisent plus à être des pions embrigadés
pour défendre une ligne de parti. Ils veulent des
interlocuteurs incarnés et crédibles — davantage d’électrons libres —
qui disent et votent ce qu’ils pensent. Ils veulent des organisations où
la recherche de l’intérêt commun l’emporte sur la partisanerie
primaire, dans lesquelles on avance à force d’arguments et de
persuasion, et pas simplement parce qu’on a une majorité au parlement.
Cette soif d’authenticité et de liberté de parole en pousse certains à rejeter l’idée même de parti politique, une suggestion aussi radicale que rafraîchissante.
Cela dit, même au sein d’un parti relativement uni, il est impensable et non-crédible
que des dizaines de députés pensent exactement la même chose en tout
temps.
Les citoyens ne sont pas dupes: il savent que les lignes de
parti — et les votes de confiance à 93% — servent à présenter une
unanimité illusoire. De plus en plus de jeunes et de moins jeunes
semblent trouver normal et souhaitable qu’une dissidence raisonnable
existe au sein d’un parti.
Mis
à part certains articles de foi — on ne peut pas adhérer au PQ et être
fédéraliste, on ne peut pas adhérer au PLQ et être souverainiste —
pourquoi les partis ne seraient-ils pas satisfaits que leurs députés
votent “de leur bord” seulement 75-80% du temps?
2. Scrapper la langue de bois
C’est
simple: en principe, plus personne n’en veut. Ni le public, ni les médias, ni les
députés. C’est l’unanimité parfaite: 100% des gens, de toutes les
allégeances, ne veulent plus se faire endormir par la guimauve des
relations publiques. Ils veulent des politiciens qui ont le courage de
dire ce qu’ils pensent — sans fioritures ou formules creuses.
Politiciens
du monde entier, unissez-vous, prenez un risque et dites-les, les
proverbiales vraies affaires. Vous serez étonnés du résultat.
3. Adopter un mode de scrutin proportionnel
Chaque élection, grâce à notre cher scrutin uninominal majoritaire à un tour,
des milliers de voix s’expriment mais n’aboutissent nulle part.
Un
mode de scrutin partiellement ou totalement proportionnel — une idée
dont on parle depuis des siècles — ferait en sorte que chaque vote
compte, au moins un peu, et favoriserait en principe l’émergence de
nouvelles voix, minoritaires, souvent plus libres et vigoureuses.
Jusqu’à
preuve du contraire, les opposants au scrutin proportionnel tombent dans deux camps: ceux qui défendent un statu quo qui les avantage,
et ceux qui invoquent (présumons de leur bonne foi) l’argument de
“stabilité” politique.
D’abord
l’argument de stabilité. Sans verser dans les comparaisons faciles, le printemps arabe montre ce qui se passe quand on préfère
trop longtemps la “stabilité” illusoire à la démocratie authentique.
Moins dramatiquement, on pourra considérer les taux de participation aux
élections provinciales et fédérales et conclure que notre démocratie
est aussi en manque d’un électrochoc.
Quant
à ceux qui défendent le statu quo parce qu’il les avantage, ils
auraient intérêt à réfléchir à long terme. Le Bloc Québécois, longtemps
bénéficiaire du mode de scrutin actuel, a deux fois réussi à faire élire
54 députés (en 1993 et en 2004) avec environ 49% du vote québécois et
13% du vote canadien. Dans un système proportionnel, il aurait gagné
entre 37 et 40 sièges.
Lors de la dernière élection, par contre, le Bloc
a obtenu seulement 4 sièges avec 23,4% du vote au Québec et 6% au
Canada. Dans un système proportionnel, il aurait obtenu 17 ou 18 sièges.
Autrement dit, ce qui était bon en 1993 et en 2004 s’est avéré
désastreux en 2011.
Les
élections proportionnelles ont quelque chose
de plus juste, plus authentique et plus représentatif. Il sera difficile et périlleux
pour notre système politique de continuer longtemps à l’ignorer.
4. “Ouvrir” le gouvernement
La
technologie contemporaine a changé la donne en matière de transparence
et de communication. Les citoyens — en particulier les jeunes —
veulent maintenant un maximum de transparence et d’accessibilité web:
des appels d’offres publics aux nominations judiciaires, en passant par
les taux de criminalité, le temps d’attente en urgence, l’état des
patinoires municipales et la disponibilité des Bixis.
Le plus beau, c'est que tout
ceci n’implique à peu près rien pour l’appareil public: il suffit de présenter les données en format utilisable par des programmeurs
externes, qui pourront les organiser et les présenter dans une
multitude d'applications.
Ça s’appelle le mouvement open data, ou “données
ouvertes”. Paris est dans le coup. Toronto et d’autres villes canadiennes aussi. Il serait temps que le Québec s’y mette, vite et bien. Certains travaillent déjà à faire de Montréal une ville ouverte: l'initiative devrait être appuyée sans réserve.
* * *
Est-ce
qu’une formation politique crédible endossera tout ceci du jour au
lendemain? Probablement pas. Plusieurs années de transition sont sans doute encore devant nous. Mais un jour, quand nous serons vieux, notre politique
sera plus jeune. Espérons qu'il ne sera pas trop tard.