Dans l’arène politique, plusieurs groupes s’affrontent.
Il y a les idéologues — de droite ou de gauche, nationalistes ou anti-nationalistes, religieux ou athées.
Il y a les groupes d’intérêts — syndicaux, patronaux, communautaires ou autres.
Puis il y a les cliques — les artistes, les sportifs, les hipsters, les intellos, les jet-sets, les business, les gothiques, les cyclistes, les granos, les urbains, les ruraux, alouette.
Les idéologues s’affrontent parce que leurs idées se contredisent. Les groupes d’intérêts parce que leurs intérêts sont opposés. Les cliques, elles, s’affrontent avant tout parce qu’elles n’aiment pas le style de l’autre.
Les chicanes de cliques comportent beaucoup de caricatures et d’attaques personnelles et peu d’idées ou de débats de fond. Le principe essentiel est de renforcer son appartenance au bon groupe et de se distinguer des autres losers: tout ce qui est associé à ces gens-là — les morons de l’autre clique — est automatiquement étiqueté et rejeté sans appel, sans considération pour la justesse des propos ou la valeur des principes.
Entre les vélosolidaires du Plateau et les douchebags de la banlieue, point d’entente possible, sur quoi que ce soit. Même chose entre les jet-sets et les gothiques, les intellos et les athlètes, les Anciens et les Modernes.
Vous militez à gauche et vous aimez les Beatles, et vous apprenez que Stephen Harper est fan lui aussi? Crise existentielle. Vous militez à droite et vous croyez que la terre est ronde, et vous apprenez qu’Amir Khadir est d’accord? Dissonnance cognitive. (Tout ça me rappelle une phrase de Tom Friedman d’il y a quelques années: Some things are true even if George Bush believes them.)
Le problème avec ces guerres de cliques — où le désir de se conformer aux « siens » et de se distinguer des « autres » l’emporte sur la réflexion critique — c’est qu’elles engendrent des blocages stériles: aucune ouverture, aucun débat de fond. L’autre gang n’existe que pour être ridiculisée, exclue et contredite.
Les conséquences sont désolantes.
Ainsi, l’adoption plus rapide de l’environnementalisme par les mouvements de gauche a rendu l’écologie suspecte aux yeux d’une certaine droite aveuglée par son intégrisme. « Si la gauche est écolo, alors nous serons pollueurs! Si les foodies roulent à vélo, nous roulerons en Hummer! »
Quel ridicule.
Question: Quel principe conservateur veut qu’il soit préférable de consommer nos ressources naturelles — forêt, minerai, rivières — de manière irresponsable, sans considérer les conséquences de cette exploitation pour nos générations et les futures? Aucun. Le développement durable devrait au contraire être au coeur d’une politique conservatrice cohérente et digne de ce nom. (Mais, évidemment, pas question d’être d’accord avec des barbus de l’UQÀM.)
Sans surprise, la même tendance s’observe dans l’autre clique. Des animateurs de radio de Québec dénoncent la bureaucratie et plaident pour une réduction de la dette publique? Immédiatement, des Bixistes du Plateau appuieront la bureaucratie et dénonceront « l’économisme » de ceux qui voudraient des comptes publics balancés. (« Ils sont contre les commissions scolaires? Alors nous serons pour! Ils n’aiment pas les déficits? En avant l’endettement! »)
Quelle logique? La gauche — et notamment celle qui prône la prudence et une perspective durable au plan environnemental — veut-elle vraiment prendre le parti du gaspillage et de l’inefficacité du secteur public? En quoi est-ce qu’une approche laxiste envers la performance et la solvabilité du gouvernement aide un mouvement qui milite pour un rôle accru de l’État? D’aucune façon — au contraire. (Mais, évidemment, pas question d’être d’accord avec un entrepreneur de la Beauce.)
On pourrait multiplier les exemples mais la morale serait la même: trop des débats politiques opposent des cliques qui s’affrontent sur la base du conformisme et de la différenciation sociales plutôt que sur la base d’idées (idéalement) ou d’intérêts (malheureusement).
Un souhait: oubliez qui parle ou écrit.
Oubliez les noms, les étiquettes. Oubliez ce que les gens portent, ce qu’ils conduisent, ou leur groupe préféré. Oubliez où ils habitent, leur accent, leurs hobbies ou leur profession. Arrêtez d’étiqueter les gens selon leur clique socio-géo-démographique, et commencez à discuter d’idées et de solutions.
C’est ce que tout le monde veut — peu importe sa coupe de cheveux, son tour de taille ou son équipe de hockey préférée.
Cliques, voilà un mot bien choisi. Vous le dites à haute voix, et dans vos oreilles, et sur votre langue, sa prononciation déclenche tous les automatismes . »Clic », comme dans colère instantanée, comme dans fermeture d’esprit obligatoire et aussi bruyante que celle du coffre-fort de ses idées définitives. « Clic » comme celui de la gachette du gun déchargé sur la tempe de votre vis-à-vis, pour le désarmer.Forcément drôle, ne lui en déplaise.
je lui prèfère toutefois le mot « meute ». Un mot qui s’entend de loin, ne serait-ce que par les hurlements lessivés de tout entendement chez les bêtes féroces quand vient le temps de foncer sur la proie. On en sait plus quoi des pieds ou des beuglements fait le plus de bruit, tant tout cela s’amalgame dans une poussière sans empreinte identifiable pour l’intelligence humaine. La meute est très présente dans les blogues de nos médias, chez des chroniqueurs qui la « call » ad infinitum, pour mieux se faire voir et vendre ses idées définitives sur tout et sur rien. On dirait une chasse chez-eux dont les pauvres lecteurs sont les faire-valoirs passifs.
Une chasse à courre, où le chroniqueur, ou la chroniqueuse vous bombardent de liens at autres références numériques, pour mieux vous faire trépigner. Remarquable aussi comme dans ces blogues, ce sont toujours à peu-près les mêmes qui répondent le plus vite au « call », pour mieux monopoliser le terrain de chasse et s’engueuler à plus finir, jusqu’à épuisement des mots et des belligérants. Une meute composée d’individus quasiment introuvables ailleurs dans l’espace médiatique, sauf exception, dans des lieux où les idées sont mises en valeur et approfondies. Non, il faut gueuler, mordre, disqualifier, injurier, car c’est ainsi que va la « game » dans les blogues de ces messieurs dames les chroniqueurs qui se spécialisent dans le « calling », ou chasse à courre, dans notre merveilleux monde des médias.
La meute est partout, dans nos quotidiens et hebdos gratuits, dans Voir même,où règne un cas spectaculaire et très visible que je ne nommerai pas, n’étant pas un adepte du « name calling »!
À chacun son troupeau…
Et donc, chacun son pré.
N.