Ottawa a annoncé la semaine dernière qu’un nouveau pont Champlain serait construit pour remplacer celui qui s’effondrera bientôt. La construction se fera en PPP, elle durera apparemment 10 ans et coûtera quelques milliards de dollars. La structure devrait accommoder une forme de transport en commun. Et, sur ce pont du futur, on installera apparemment un péage.
Il reste plusieurs choses à régler mais tout le monde s’entend sur un certain nombre de points: on espère que le pont sera construit dans les délais, à coût raisonnable, et qu’il sera intelligemment conçu — idéalement une référence tant fonctionnelle qu’esthétique.
Le question qui a suscité un certain débat est celle du péage: Faut-il un pont gratuit ou un pont payant? Autrement dit: Faut-il appliquer le principe d’utilisateur-payeur à cette nouvelle infrastructure routière reliant la ville à la banlieue?
Premier constat. Dans une perspective « verte », l’étalement urbain est une abomination: plus de terres rasées pour construire des maisons unifamiliales toujours plus grandes, avec piscine, gazon et entrée de garage, qui surconsomment eau, énergie et tout le reste. L’étalement urbain, c’est plus de déplacements en voiture, sur de plus grandes distances, avec plus de congestion, et une logistique de transport en commun de plus en plus impossible à gérer. La ville verte idéale est — au contraire — densément peuplée, constituée de petits logements fonctionnels, qui consomment peu, et qui facilitent l’organisation du transport en commun (ou la marche, ou le vélo).
Deuxième constat. Toujours d’un point de vue écologique, les gestes individuels motivés par une “conscience verte” sont largement futiles. Les changements importants — ceux qui sont nécessaires — ne se produiront que lorsque les incitatifs économiques favoriseront les comportements responsables. Comme l’écrivait récemment Gernot Wagner dans le NY Times:
La réalité, c’est que nous ne surmonterons pas la menace globale des gaz à effet de serre sans dire l’ultime vérité qui dérange: encourager les gens à faire des sacrifices individuels pour la planète ne fonctionnera jamais.
La science élémentaire démontre que le réchauffement climatique existe. Et la science économique enseigne que l’humanité doit avoir les bons incitatifs pour stopper ce terrible fléau.
N’arrêtez pas de recycler. N’arrêtez pas de consommer localement. Mais ajoutez l’apprentissage des principes économiques de base à votre liste de choses à faire. Notre avenir sera largement déterminé par notre capacité à admettre qu’il faut mettre fin au socialisme planétaire. C’est une leçon économique fondamentale — particulièrement pour les environnementalistes sérieux.
Qu’est-ce donc que ce “socialisme planétaire” que dénonce Wagner?
C’est l’idée que, dans le cadre actuel, la collectivité assume les impacts de l’irresponsabilité environnementale individuelle. Encore une fois, on privatise les bénéfices et on socialise les coûts. Si je décide de prendre une douche de trois heures (sans compteur d’eau), ou de déménager dans un château de banlieue et prendre un pont deux fois par jour (sans péage), ça ne me coûte rien. C’est tout le monde qui paie pour moi. Sans tarification à l’utilisation, je n’ai aucun intérêt à changer mon comportement.
Troisième constat. La gauche socialiste n’aime pas la responsabilité individuelle. Elle préfère, sans surprise, la responsabilité collective. Les socialistes résistent aux mesures qui rattachent des conséquences aux actions individuelles; ils ne croient pas beaucoup au mérite personnel et préfèrent que tout le monde paie pour tout le monde. (J’en ai parlé davantage ici.) Cette gauche est donc naturellement réticente au principe d’utilisateur-payeur, qui repose précisément sur la responsabilisation des individus.
Tout ça pour en venir à ceci: Pour ceux qui s’intéressent aux idées politiques, le débat sur le péage du pont Champlain est fascinant.
D’un côté, la gauche écologique devrait en principe appuyer l’idée d’une tarification qui commence timidement à associer un prix à la dégradation environnementale. De l’autre, la gauche socialiste devrait en principe s’opposer à une mesure qui repose sur une conception individualiste des choix et des responsabilités.
Bien sûr, on ne parle que d’un pont imaginaire à Montréal. Mais derrière ce petit débat sur le péage se cache peut-être un schisme politique plus important, ou à venir, entre deux visions du monde contemporain.
Permettez-moi de vous dire, sans aucune prétention (du moins je l’espère), cher M. Lussier que j’ai 68 ans et que cela fait au moins 50 ans que je suis un socialiste individualiste, libertaire et, autant que faire se peut, libre-penseur.
Je pense que l’individualisme, compris dans un certain sens, c’est éminemment subversif, corrosif, décapant et libérateur. La publicité et d’autres institutions sociales tentent de nous faire croire que l’individualisme, cela consiste à ne penser qu’à soi. Alors, l’individualisme devient une manufacture de narcissisme, d’égocentrisme et de nombrilisme.
Mais l’idée selon laquelle l’individu humain se doit d’être respecté et pris en compte est une idée merveilleuse et révolutionnaire. Cela signifie aussi que l’individu est appelé à prendre ses responsabilités, ce qui ouvre la porte sur l’entraide et la solidarité.
Le socialisme peut aussi être une idée subversive. Mais pas le socialisme radoteux, redondant et insupportable de certains vieux socialos ou socialeux. De trop nombreux socialos ont une vision unidimensionnelle et éminemment dogmatique. Ils craignent l’individualité et le JE. Ils risquent de mourir étouffés par leur idolâtrie du NOUS.
Si les circonstances (mon temps et ma santé) me le permettent, je vais revenir causer de l’individualisme socialiste ou du socialisme individualiste et éventuellement libérateur. Votre texte, Jérôme Lussier, ouvre la porte à d’infinies discussions, potentiellement tonifiantes et roboratives.
AU PLAISIR!
JSB, sociologue des médias
Je pense qu’il y a deux points qui accrochent certaines personnes avec l’idée du péage sur le pont Champlain:
1) Comme la plupart des tarifs, c’est une taxe déguisée, donc une msure fiscale régressive (tout le monde, quelque soit son revenu paie le même montant, donc une portion plus élevée de son revenu pour un salaire plus bas). Contrairement aux impôts plus progressifs (même s’il ne reste plus que 4 paliers d’imposition sur la quinzaine qu’on avait il y a 30 ans)
2) Le pont allant être construit et géré en PPP, il est sûr qu’une part importante de ce péage va servir à assurer les profits au « partenaire privé ». Autrement, on taxe les citoyens au profit d’intérêts privés. Ça commence à ressembler au systême des fermiers-généraux de l’Ancien Régime.
A cela on peut rajouter quelques autres « irritants ». Par exemple, si on parle d’un péage pour pousser les gens à troquer la voiture contre le transporty en commun, il faudrait:
a) l’annoncer dans le projet (le péage n’a été annoncé que comme une mesure de « paiement » du pont)
b) prévoir qu’un service de transport en commun soit effectivement disponible pour TOUS les usagers du pont Champlain (sinon on prend vraiment des gens en otage); ce qui n’a pas été fait. On ne sait même pas s’il y a une ou des voies réservées sur le pont et si les autobus seront ou non soumis au péage.
Ensuite, on annonce que pour éviter de détourner la circulation sur les autres ponts et par soucis « de justice », TOUS les ponts de la Rive-Sud seront à péage. Toujours sans annoncer de nouvelles mesures de transport en commun. Mais quid de la Rive-Nord et de Laval ?
Bref, je suis loin d’être contre une mesure qui pourrait réduire l’utilisation de l’automobile si le projet prévoyait une alternative sur le transport en commun et si le péage ne visait à enrichir quelques intérêts privés, tout en nous habituant au principe de l’utilisateur-payeur cher aux néo-libéraux.
On le voit, déjà des arguments pour s’opposer aux péages: mesure régressive, le profit au privé et le transport en commun insuffisant. Puis quoi d’autre encore? J’ai bien peur que les nombreux lobbies vont se faire entendre pour condamner quelque décision que ce soit, c’est ou ça a été le cas du prolongement de l’autoroute Ville-Marie dans l’est, de l’échangeur Turcot, de l’autoroute Bonnaventure, du pont de la 25, du prolongement de la 30, bref à chaque fois, les lobbies s’opposent et les projets mettent des années à se faire. Il y a toujours des bons arguments comme si aucun compromis de pouvaient être fait. Chacun reste sur ses positions et si un décideur prend la décision, on entend un concert de condamnation.
Ce qu’il faut payer en bout de piste en raison de ces délais et remises en question est énorme et nuit au développement harmonieux de notre société. Il me semble qu’un peu plus de maturité serait nécessaire et un peu moins de populisme et de démagogie ne nous ferait pas de tort. Ce serait tellement mieux si pour les progressistes tout ce qui vient du privé n’était pas systématiquement mauvais et si pour les néo-libéral, tout ce que fait l’État n’était pas systématiquement bureaucratisé, incompétent, lourd et coûteux. On peut rêver…