Dans l’univers de la politique internationale, on trouve historiquement deux gangs. (Certains diront les bons et les méchants, mais c’est plus compliqué que ça.)
Il y a d’abord les “idéalistes”.
La pensée idéaliste est essentiellement une application de la règle d’or au contexte des rapports internationaux: agis avec les étrangers comme tu voudrais qu’ils agissent avec toi. La justice, la bonne foi et la tolérance qui inspirent (en principe) la politique interne doivent donc former la base des rapports avec d’autres États. C’est une approche fondamentalement progressiste.
Une des conséquences de la doctrine idéaliste, c’est que les États doivent parfois agir contre leur intérêt immédiat, par fidélité à des principes universels. Autrement dit, même si la Gastonie a l’opportunité de dumper impunément ses déchets en Thérèsie, la Gastonie n’en fera rien, parce que ce genre de comportement est jugé moralement répréhensible.
L’autre gang, ce sont les “réalistes” — ceux pour qui l’idée d’assujettir les relations internationales à des principes éthiques est essentiellement une utopie bien-pensante.
Les réalistes considèrent que, dans le cadre des rapports entre États, on ne peut rechercher que l’accroissement de son propre pouvoir. Autrement dit: c’est très bien de faire la promotion de la justice et de l’équité chez soi, mais dans ses rapports avec d’autres États, ce sera toujours chacun pour soi (ce qui n’exclut pas la création d’alliances stratégiques).
Plusieurs des critiques habituellement lancées contre la politique étrangère américaine — Ils ne défendent que leurs intérêts! Ils ignorent les institutions multilatérales! Ils s’imposent militairement ou économiquement! — ne sont, en fait, que des critiques de l’approche réaliste aux relations internationales. C’est cette même doctrine (conservatrice) qui explique l’abandon récent de l’accord de Kyoto par le gouvernement Harper: dans la mesure où le traité était contraire aux intérêts immédiats du Canada, il devenait impensable de le garder en place, même (ou surtout) au nom du prétendu bien commun de l’humanité.
Voilà pour les idéalistes et les réalistes. À chacun de choisir son camp.
* * *
Comme tout le monde le sait, le Québec a plein d’amiante. C’était jadis une industrie florissante, jusqu’à ce qu’on découvre qu’il était cancérigène et que le secteur prenne une débarque. L’amiante est maintenant sévèrement réglementé aux États-Unis et totalement interdit en Europe.
Si on n’a pas trop de scrupules, par contre, on peut encore l’exporter en Inde et dans certains pays en développement où la substance est encore tolérée.
Plusieurs individus et groupes, d’ici et d’ailleurs, s’opposent à cette pratique et critiquent vertement les gouvernements du Québec et du Canada. Mais c’est lucratif, c’est légal, et ça crée des jobs. Donc nos gouvernements favorisent l’exportation d’amiante.
Évidemment, personne n’accepterait que l’Inde exporte chez nous des produits cancérigènes rejetés par ses voisins. Mais si on peut envoyer les nôtres aux Indiens? Alors go. Et tant pis pour la règle d’or.
* * *
En 1969, le gouvernement du Québec a conclu une entente avec Terre-Neuve concernant l’achat par Hydro-Québec d’électricité produite à la centrale de Churchill Falls.
Après des négociations complexes (en vertu desquelles Hydro-Québec devenait notamment actionnaire minoritaire de la centrale) les provinces ont conclu une entente de… 65 ans. Le contrat est en vigueur depuis près de 40 ans et sera renouvelable pour 25 ans de plus en 2016.
Selon l’entente, Hydro-Québec achète l’électricité produite à Churchill Falls à un prix d’environ 2$ par mégawatt-heure (MWh). La production est d’environ 30 millions de MWh par an.
Le hic, c’est que 2$ par MWh est un tarif scandaleusement bas.
L’an dernier, le tarif résidentiel moyen facturé par Hydro au Québec était de 68,80$ par MWh. Le tarif est plus élevé pour l’exportation: 82$ le MWh en moyenne pour 2010. Selon le tarif qu’on adopte, on peut donc imaginer que, grosso modo, Hydro fait des profits qui varient entre 3300% et 4000% sur l’électricité qu’elle achète de Churchill Falls.
La petite histoire veut qu’en 1969, Québec et Terre-Neuve croyaient que l’énergie nucléaire ferait tôt ou tard chuter les prix de l’hydro-électricité de manière dramatique — ce qui justifiait les tarifs dérisoires prévus pour l’avenir. Or, comme on le sait, ça ne s’est pas passé comme prévu.
Avec comme résultat que les tarifs ont augmenté, et qu’Hydro-Québec réalise chaque année — depuis des décennies et pour des décennies à venir — des profits hallucinants sur l’électricité qu’elle achète de Churchill Falls.
(Juste pour le fun: en se basant sur le tarif résidentiel moyen en 2010, ça donne environ 2 milliards $ de profits par année — seulement sur l’électricité achetée de Churchill Falls. En 2010, le dividende payé par Hydro au gouvernement du Québec était de 1,8 milliard $. Quelle serait la rentabilité d’Hydro-Québec sans le contrat de Churchill Falls? Bonne question.)
Il va sans dire que Terre-Neuve est en beau joual vert. Chaque année, la province perd des centaines de millions à cause d’une entente vieille de 40 ans. Terre-Neuve a déjà essayé de mettre fin au contrat, mais par deux fois la Cour suprême du Canada (la même qui penche apparemment toujours contre le Québec) a donné raison à Hydro-Québec.
La position du Québec, c’est essentiellement qu’un deal, c’t’un un deal. Les provinces ont signé une entente en 1969; les circonstances ont fait en sorte qu’elle avantage outrageusement le Québec; too bad pour Terre-Neuve.
C’est une position légitime, étroite, difficile à contredire en droit. Les tribunaux sont généralement réticents à défaire ou modifier des ententes commerciales à cause d’une inéquité dans les prestations résultantes.
Évidemment, si la situation était inversée et que c’est Terre-Neuve qui recevait chaque année des centaines de millions du Québec à cause d’un contrat à sens unique conclu il y a 43 ans, on ne produirait sans doute pas assez de chemises dans le monde pour remplacer toutes celles qui seraient déchirées au Québec chaque mois.
Mais l’entente est légale, elle est lucrative, et elle nous avantage. Alors go. Et tant pis pour la règle d’or.
* * *
Je ne crois pas que les dossiers de l’amiante et de Churchill Falls soient simples. Un gouvernement qui ferait volte-face sur ces questions paierait sans doute un prix électoral élevé. Même en 2012, il est difficile de justifier le bien-fondé d’une politique en fonction de principes éthiques.
Cela dit, ceux qui ne perdent jamais une occasion de critiquer la politique étrangère américaine (ou canadienne) — sous prétexte qu’elle n’obéit à aucun principe autre que la recherche de l’intérêt national — devraient tester leur cohérence concernant ces dossiers.
La politique a toujours apporté et apportera toujours son lot de contradictions. Ceci étant dit, je crois que le mot « réaliste » correspond mal au groupe qui est décrit ici. Je peine à trouver un meilleur mot, mais ce que je reproche souvent à cette école de pensée (fut-elle de droite ou de gauche) est le manque de vision à long terme. Égoïste me semble un meilleur descriptif, mais il est encore imparfait.
Un exemple d’égoïsme sur la scène internationale:
Le renversement de Mohammad Mossaddegh avec l’aide de la CIA (premier ministre d’Iran en 1953) dont le successeur, le Shah d’Iran a fini par provoquer la grogne de son peuple au point de voir les Islamistes prendre le pouvoir.
L’égoïsme, c’est dire que la fin justifie les moyens, et si on veut se sortir du bourbier où nous allons bientôt nous trouver, nous devrons voir plus loin que le bout de notre nez…
Merci de nous rappeler la beauté de l’art de la rhétorique.
J’apprécie la subtilité et le plaisir de jongler avec les idées pour leur donner une couleur différente et souvent nouvelle. Pas toujours d’accord ces idées d’ailleurs, mais ça aussi ça fait partie du plaisir.
En passant, excellent le vidéo de Monty Python.
Un contrat ça sert à quoi? Si Terre-neuve n’est pas capable de respecter ses engagements et bien il est impensable de penser en négocier d’autres.
Lorsque le québec vend ses ressources naturelles à des prix ridiculement bas, y a-t-il un traitement différent? Lorsque le québec se fait avoir un peu partout, y a-t-il quelqu’un qui va dire, ok, c’était pas fair, on vous laisse une chance? Non Jamais! Lorsque vous avez un différent avec une compagnie d’assurance, qu’est-ce qui prime et défini tout? Le contrat. Voilà!
Cette fois-ci le Québec en profite et j’espère qu’il continuera d’en profiter au maximum.
Terre-Neuve a signé ce contrat de façon compétente, avec l’avis des experts compétents. Terre-Neuve fait tout de même de l’argent avec ce contrat, même s’il y a un manque à gagner, il n’y a pas de perte. Et c’est l’hydro comme actionnaire principal qui a fourni le capital principal…
Le Labrador volé au Québec en 1927 sur une décision arbitraire et insensée, vous en faites quoi alors? Le Québec lui n’avait rien signé pour consentir à cette amputation de son territoire qui a largement profité à Terre-Neuve…Pourquoi aurions nous pitié d’une province qui ne reconnait même pas que son territoire s’est agrandi au détriment d’une autre.Si Terre-Neuve considère s’être fait avoir en 1967, elle a tout de même signé cette entente volontairement. Le gouvernement terreneuvien est bien silencieux sur la scandaleuse affaire du Labrador de 1927 où le Québec s’est fait floué de façon cent fois plus injuste. Finalement, tout ça n’est qu’un juste retour des choses qui compense le Québec au plan financier.
Ce billet me rappelle un autre sur les condos. Si par chance un locataire réussit à signer un bail à un prix bien en dessous du marché, la régie du logement va le protéger contre toute hausse non justifiée soit par l’inflation ou pour amortir des travaux majeurs. Le seul recours pour le proprio est de reprendre lui-même le logement pour y vivre. La règle d’or est où ?