Je m’appelle Éric, j’ai 38 ans et un fils de 6 ans. Je suis séparé depuis trois ans. J’habite avec mon fils (une semaine sur deux) dans un 4 et demi de Rosemont depuis que mon ex et moi avons vendu notre condo à Ahuntsic. Les finances sont serrées mais j’arrive, même si je trouve que la vie est moins le fun pour Samuel (mon fils) depuis qu’on a déménagé. J’essaie de m’arranger pour qu’il voit ses amis d’école les fins de semaine, mais c’est pas toujours évident sans auto pour faire le taxi.
Le meilleur scénario pour tout le monde, ça serait que je m’arrange avec Maria, la mère du meilleur ami de Samuel, qui habite dans Hochelaga. Maria est pas mal dans la même situation que moi et on a déjà parlé d’acheter un duplex ensemble et de prendre chacun un étage. On a même vu une bâtisse à vendre qui ferait notre affaire et qui fitterait avec notre budget. Les flots pourraient jouer ensemble et ça serait pratique en crisse d’avoir quelqu’un en haut (ou en bas) pour dépanner au quotidien.
Le problème, c’est qu’on peut pas acheter le duplex ensemble et y habiter à cause de l’article 1958 du Code civil.
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Je m’appelle Johanne, j’ai 29 ans et je suis enceinte de mon premier. Mon chum et moi on est les premiers de notre gang à avoir des enfants et on aimerait s’organiser avec ma cousine Jeanne et son mari, qui attendent leur premier eux aussi. Jeanne pis moi on va être en congé de maternité en même temps et je pense qu’on va trouver le temps pas mal moins long si on peut passer notre année ensemble.
Depuis quelques mois on parle de s’acheter un triplex à Verdun tous les quatre. Jeanne et son mari veulent un rez-de-chaussée et mon chum et moi on préfère un 3e étage, pour avoir personne qui nous marche sur la tête. On pourrait avoir des locataires au 2e étage.
Ça serait vraiment bien qu’on soit les deux familles dans la même bâtisse, surtout que les horaires de tout le monde sont différents et que ça nous ferait du gardiennage d’urgence sur place. Mon chum et moi on a même imaginé qu’on pourrait se faire des sorties en couple en semaine en branchant l’intercom chez Jeanne…
Le problème, c’est qu’on peut pas acheter un triplex ensemble pour y habiter, à cause de l’article 1958 du Code civil.
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Je m’appelle Yves et j’ai 68 ans. Mon épouse Maryse est décédée il y a trois ans, et je sors pas mal moins depuis. C’est pas pareil quand tu te retrouves tout seul tout d’un coup. Ma fille habite à Québec et mon fils est rendu à Toronto. La seule personne que je vois régulièrement, c’est Lucien. On se connait depuis le cours classique. L’année dernière on a écouté tous les matches du Canadien ensemble, même s’il prend pour les Bruins, l’écoeurant.
Depuis que Lucien a perdu son permis de conduire, par contre, c’est plus compliqué. Il aime pas trop sortir le soir tout seul l’hiver, pis les taxis coûtent cher. Alors on se voit moins.
La semaine dernière il m’a appelé pour me dire qu’il y avait un duplex à vendre à côté de chez lui, à Outremont. Ensemble on pourrait sans doute l’acheter et prendre chacun notre étage. J’habiterais jamais avec lui — ses chats puent trop — mais ça serait pas mal plus pratique pour écouter les matchs ensemble s’il avait juste à monter ou descendre chez moi. (Lucien est trop cheap pour se payer le câble; maintenant que le hockey joue à RDS, c’est chez moi qu’on l’écoute.)
Ça serait vraiment idéal, qu’on habite un au-dessus de l’autre. Mais on peut pas acheter le duplex ensemble pour l’habiter, à cause de l’article 1958 du Code civil.
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L’article 1958 du Code civil du Québec se lit comme suit:
1958. Le propriétaire d’une part indivise d’un immeuble ne peut reprendre aucun logement s’y trouvant, à moins qu’il n’y ait qu’un seul autre propriétaire et que ce dernier soit son conjoint.
Ça veut dire que si vous achetez un immeuble à logements avec une amie, un cousin ou un frère — c’est-à-dire quiconque n’est pas votre conjoint(e) — vous ne pouvez pas reprendre d’appartement pour vous y loger. Pas de problème si vous avez les moyens d’acheter tout seul. Si vous vous mettez à deux ou à trois, par contre, c’est interdit.
À une époque où l’isolement des jeunes familles, des pères/mères monoparentaux et des personnes seules semble être un problème critique — pas dans les médias ou les programmes politiques, mais dans la vraie vie — il n’est pas clair que la règle soit très constructive. Aucun programme social ni mesure d’aide gouvernementale n’aura autant d’impact pour une mère isolée ou une personne seule que la présence d’une soeur, d’un cousin ou d’un ami dans l’appartement d’en haut ou d’en bas.
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Chers députés de tous les partis: amendez donc l’article 1958. Permettez donc aux cousines, aux frères et aux amis qui le souhaitent de se constituer des vies un peu plus communales. Tant qu’à y être, changez donc la loi la semaine prochaine. Et préparez-vous, peut-être, soudain, à voir moins de personnes isolées et seules.
100% avec vous. Mais n’oublier pas que le principal avantage de montreal sur les Toronto et New York, cest les loyer moins cher. Les normes sur le logement y sont pour beaucoup: elle empèche l’expulsion de locataire pour des raisons purement monetaire. Il faut imperativement garder cela, rt réécrire cet artie pour permettre les projets que vous décrier. Je pense qu’une contrainte de temps d’occupation pourrait être utile.
Nicolas
Je m’appelle Maryse. Je suis une mère monoparentale et ça fait trois fois que je me fais crisser dehors de mon appartement. Chaque fois le scénario est le même: un groupe d’amis achètent le triplex, ils emménagent chacun dans leur logement, ils font des travaux, après ils divisent et revendent beaucoup plus cher. Ça doit être franchement payant.
Moi je sais plus où vivre.
C’est à ça qu’il sert cet article, non?
Si l’objectif était d’empêcher les rénos/reventes (flips), le remède est draconien et engendre des effets pervers dommageables. Je crois qu’on pourrait assez facilement imaginer un amendement à la loi qui permettrait à des amis/parents d’acheter ensemble pour créer des mini-communes familiales (ou de retraite), avec des conditions qui empêchent (comme c’est actuellement le cas) des reprises de mauvaise foi, pour fins de flips.
@jerome
évidemment que les gens sont contre la spéculation et pour la création d’espaces communaux.
comment ré-écrire la loi pour enrayer le premier phénomène tout en favorisant le deuxième? that is the question.
tu écris qu’on pourrait « facilement l’imaginer ».
vas-y! moi j’ai essayé mais j’ai lamentablement échoué. je suis probablement moins imaginatif que toi.
@chasseur
Première tentative d’amendement, juste pour le fun:
1958. Le propriétaire d’une part indivise d’un immeuble peut de bonne foi reprendre un logement s’y trouvant, uniquement pour y habiter. La bonne foi de la reprise s’évaluera, notamment, en fonction de la période de temps pendant laquelle un co-propriétaire indivis habitera effectivement le logement. Un immeuble dont un logement a été repris en vertu de cet article ne peut faire l’objet d’une conversion en copropriété divise pendant les cinq ans suivants la reprise.
Voilà. Des suggestions d’améliorations?
@jérôme lussier
hum…
ouin… donc on ne saurait que cinq ans après l’éviction si celle-ci fut abusive ou pas… le mal n’aurait-il pas déjà été fait?
non selon moi t’as pas besoin de changer la loi. t’as juste à faire un deal avec le locataire avant d’acheter ton triplex. pour dix mille piastres n’importe qui sacre son camp rien que sur une gosse, tsé…
@Chasseur
Non, un locataire dont le logement a été repris pourrait porter plainte (présumément devant la régie du logement) dès qu’il y a apparence de mauvaise foi — c’est-à-dire dès qu’il devient apparent que la personne qui a repris le logement ne l’habite pas vraiment et cherche plutôt à le vendre/flipper/louer. Si ça arrive après deux, quatre ou six mois, alors la plainte peut être faite à ce moment.
Le délai de 5 ans pour une conversion en condos vise à dissuader les gens qui, justement, voudraient invoquer cette règler pour faire des flips rapides. On ne peut pas condamner les gens à ne jamais convertir ou déménager, mais le délai de 5 ans semble a priori raisonnable comme restriction.
@Jérôme
bof… il incomberait au locataire évincé de suivre à la trace le nouveau propriétaire pendant cinq ans, au locataire évincé de porter plainte, au locataire évincé de se trouver un avocat si le cas se complique le moindrement…. le pauvre bougre ne mérite pas ça. oh non.
écoute, tu le sais, les triplex se séparent en condos indivis à la grosse planche depuis dix ans. évidemment, on en construit pu, alors il y en a moins, et encore moins des beaux bons pas chers. alors si l’on doit modifier la loi, je pense qu’on devrait renforcer les droits du locataire, surtout pour empêcher les propriétaires d’augmenter les loyers plus qu’il ne le devrait quand un locataire quitte. il s’agit là d’une pratique frauduleuse abondement utilisée.
et plus j’y pense, plus je suis fier de mon idée: acheter le départ volontaire du locataire. tout le monde il est content, et pas de nouvelle loi/paperasse/règlement supplémentaire. win-win-win.
À force de donner tous les droits aux locataires, plus personne n’investit dans le locatif et le nombre total de logements à louer diminue sans cesse. Cela s’appelle les effets pervers et cela encourage l’étalement urbain en plus puisque c eux qui n’ont pas les moyens sont forcés en banlieue.