Il y a quelques jours, Ianik Marcil a publié sur ce site un billet où il dénonçait avec fougue une certaine dérive qui voudrait remplacer la réflexion politique par une approche comptable.
“Nous méritons … des prises de position … qui soient courageuses et passionnées, à droite comme à gauche, fondées sur une pensée éthique et sur une vision politique, et non la pleutrerie de pseudo-arguments factuels fondés sur des analyses bancales,” écrit Ianik.
Dans cet univers dépouillé d’idées et d’idéal, la solution à tout problème sera toujours la plus rentable. La réforme du système de santé ou d’éducation? La souveraineté du Québec? Une politique sur la fin de vie? Simple question d’optimisation économique, dans tous les cas.
C’est la mort du politique au profit d’un scientisme économique primaire, comme si on pouvait confier la gestion d’une société à une calculatrice.
* * *
En octobre dernier, Peter Orszag, ancien directeur de budget du président Obama, publiait un essai provocant — et qui allait en quelque sorte en sens inverse.
Dans “Too much of a good thing”, Orszag se demandait si la gestion des affaires publiques (américaines en l’occurrence) n’était pas — au contraire — trop politisée. Il suggérait de retirer certaines questions de la sphère démocratique pour les confier à des comités d’experts qui prendraient les “décisions rationnelles”.
(Orszag admet lui-même que la proposition paraît radicale. Elle découlait notamment du dernier débat entourant le relèvement du plafond de la dette, qui a failli mener au premier défaut de paiement de l’histoire des États-Unis.)
* * *
Essentiellement, les textes de Ianik Marcil et de Peter Orszag visent chacun à remettre la politique à sa place. Quelle place devrait-elle occuper? C’est la question à 1000 piastres. Je n’essaierai même pas d’y répondre de manière théorique tellement c’est complexe.
Voici quand même quelques pistes concrètes pour alimenter la réflexion.
La question de la peine de mort est une question politique. Elle alimentait d’ailleurs en partie la réflexion de Ianik sur l’économisme. Il existe des arguments éthiques, moraux et sociaux pour chaque camp. Mais les préoccupations économiques — qu’est-ce qui coûte le plus cher entre la prison à vie ou la peine de mort? — ne devraient pas entrer dans l’équation.
Une fois la décision politique prise — et elle est prise au Canada — on pourra désigner des experts pour proposer une organisation plus efficace du système judiciaire, des stratégies de prévention du crime plus économiques, etc. Mais les arguments économiques n’ont pas leur place avant.
La mise sur pied d’un réseau de CPE à coût modique est aussi une décision largement politique. À la base, la question est de savoir si on propose un modèle unique de soutien à la garde d’enfants (via les CPE subventionnés), ou si on verse plutôt une allocation directement aux parents, qui seront libres d’utiliser cette allocation pour payer une garderie, une gardienne à la maison, ou comme revenu de substitution pour un parent qui reste à la maison. C’est un choix de société, avec des arguments sociopolitiques de part et d’autre.
Les implications économiques sont pertinentes (davantage que pour la question de la peine de mort) mais ne devraient pas prendre le dessus sur tout le reste. La question d’une gestion efficace, économique et durable du système est essentielle, mais elle pourrait sans doute être laissée à un comité d’experts qui, encore une fois, feraient les ajustements requis au système retenu une fois celui-ci mis en place.
Dernier exemple, cette fois dans le domaine de l’éducation. (Un peu plus compliqué, parce qu’il m’arrive de me demander si on n’a pas perdu de vue les grandes questions en éducation.) La question politique semble être la suivante: Quel système d’éducation publique veut-on? Un réseau de deuxième classe, qui procure une formation de base aux enfants qui n’accèdent pas au privé, ou un système performant qui favorise l’égalité des chances en offrant une excellente formation accessible à tous? C’est le véritable débat de fond à mon avis.
Si on veut un système de deuxième classe, on mettra en place un réseau sans ambition, peu préoccupé de qualité, dont le seul objectif est d’atteindre certaines cibles de diplomation. Si on veut un système performant, on ira chercher les meilleurs professeurs — toutes formations confondues — on favorisera l’excellence et l’émulation, on ne tolérera pas la médiocrité ou le nivellement par le bas, et on s’assurera que les fonds publics profitent directement aux étudiants et aux écoles, non à des structures bureaucratiques.
Une fois résolue cette question fondamentale, on pourra discuter de l’organisation optimale du réseau, de la gestion la plus économique des ressources, ou encore confier ces questions à des comités d’experts. Mais il faut d’abord s’entendre sur les principes qui sous-tendent le système.
* * *
Comme Peter Orszag et Ianik Marcil (qui seront sans doute tous deux étonnés de se retrouver dans la même phrase) j’ai le sentiment que la politique s’égare parfois, et qu’il faut la remettre à sa place.
Pour éviter la politisation inutile de décisions administratives, ou la réduction d’options politiques à de simples formules comptables, il est essentiel de distinguer entre les questions de principe et celles d’exécution, et de redécouvrir les questions de fond quand on a fini, malheureusement, par les perdre de vue.
je lis et relis votre billet:
comme disait – à l,époque- un confrère de collège:
‘ Monsieur, ya du stock dans ce billet !! »
Sérieusement,la lecture de votre billet m’a plu énormément et devrait être lu par chacun de nos députés à l’Assemblée Nationale.
merci.
bravo pour un billet de grande qualité qui devrait être lu et relu par chacun de nos députés de l’A.N .
Merci de votre commentaire. J’essaie souvent de stimuler la réflexion mais il est toujours difficile de prédire jusqu’où elle ira.
La question ne se pose même pas. L’Histoire a prouvé que les hommes d’affaires prendront toujours des décisions qui favorisent leurs intérêts. Exemple, les délocalisations. On déménage les manufactures des pays industrialisés vers les pays sous-développés afin d’améliorer les profits des actionnaires. Le résultat est d’avantage de chômage, de misère, de pauvreté dans les anciens pays industrialisés.
La même chose avec la spéculation en bourse, et l’argent fictif que cré les banques. Résultat, catastrophe économico-financière dans les pays anciennement industrialisés.
Il est impérieux que les politiciens reprennent les rênes du pouvoir et contrôlent ces criminels indifférents aux maux qu’ils causent. Il est temps de siffler la fin de la récréation.
Croire que les hommes d’affaires savent faire des affaires est oublier les milliers de faillites qui les accablent chaque année. M. Rockfeller aussi souhaitait que les politiciens s’enlèvent du chemin. Il prêchait paour sa paroisse, pas pour le bien commun.
Les politiciens doivent tenir le haut du pavé. Ils l’ont abandonné pour un plat de lentilles, comme des lâches, des traîtres. FDR, qui les connaissait bien, leur avait serré la visse. Ses successeurs, d’un niveau social inférieur, moins bien instruits de leurs failles, de leur nature, ont cédé aux demandes de ces parasites sans foi ni loi, et nous voilà de nouveau à leur merci, comme avant la crise de 1929. Et pourtant, on avait bien pris les mesures pour les contrer. Mais je me répète. 🙁
On ne saurait être à la fois juge et parti. C’est ce que sont maintenant les hommes d’affaires de tout accabit. On est jamais aussi bien servi que par sois-même. Ces hommes d’affaires en ont fait la démonstration, une fois de plus.