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Dette et souveraineté: le monde à l’envers?

Trois prémisses et une question:

Première prémisse: Les finances publiques du Québec sont dans le rouge. Les estimés de notre dette varient — 95% du PIB selon certains calculs, 53% selon d’autres. (Selon les chiffres du ministère des Finances, qui n’incluent pas la portion de dette fédérale, le ratio est de 55% du PIB.) Il y a des désaccords, mais il semble qu’à peu près tout le monde s’entende pour dire que le Québec est sur une trajectoire dangereuse. Coupons la poire en deux et posons comme hypothèse que la dette du Québec (si on considère la part du fédéral) est de 74% de son PIB — un chiffre arbitraire, à mi-chemin entre les calculs supposément “jovialistes” et “cancristes”. Maintenant contrastons ce chiffre avec ceux de certains pays auxquels on aime nous comparer: dette de 2,4% du PIB pour le Danemark, et surplus de 25% pour la Suède, de 61% pour la Finlande et de 163% pour la Norvège, selon l’OCDE. Peu importe le chiffre qu’on retient pour la dette du Québec, sa situation est incomparable à celle des pays scandinaves.

Deuxième prémisse: Le Québec est la province la plus endettée du Canada et il reçoit chaque année entre 7 et 8 milliards $ du fédéral en paiements de péréquation, ce qui en fait le plus grand récipiendaire de péréquation au pays. Quand on considère les paiements de péréquation par habitant (une mesure plus juste à bien des égards), on constate que le Québec est proportionnellement moins “quêteux” que d’autres provinces, notamment des maritimes. Reste qu’avec des dépenses de près de 70 milliards $, le Québec compte actuellement sur Ottawa pour environ 10% de son budget annuel.

Troisième prémisse: Peu importe ce qu’on en pense, l’argument économique — serions-nous plus riches comme état souverain ou comme province canadienne? — a toujours fait partie du débat sur la question nationale. Certains souhaiteraient que le débat porte uniquement sur la question identitaire, mais la faiblesse économique relative du Québec a toujours constitué un argument important pour le camp fédéraliste, qui pouvait présenter un hypothétique Québec souverain comme économiquement fragile. Sans juger de la valeur de ces arguments, il semble assez évident que, stratégiquement, le camp souverainiste aurait un argument de plus — et les fédéralistes un argument de moins — si le Québec n’avait plus de dette, une économie ronflante et ne recevait plus de péréquation du Canada.

(Il y a aussi ceux qui semblent considérer que toutes les difficultés économiques du Québec découlent de son statut de province canadienne, et que l’indépendance aurait pour effet de régler tous les problèmes d’un coup. Je ne m’attarderai pas sur cette hypothèse, sinon pour dire que ses partisans semblent avoir du mal à démontrer sa validité.)

La question: Comment se fait-il, dans ce contexte, que les appels urgents à la réduction de la dette, à la création de richesse et à l’assainissement des finances publiques soient associés au PLQ et à la CAQ — les partis les moins souverainistes — et que la posture opposée soit le plus souvent associée au PQ et à QS — les partis les plus souverainistes?

Stratégiquement, le camp souverainiste n’aurait-il pas intérêt à éliminer au plus vite un des principaux arguments de ses adversaires, en proposant de désendetter le Québec et de le rendre économiquement autonome face au reste du Canada? Et — cyniquement — les fédéralistes n’auraient-ils pas au contraire intérêt à entretenir cet endettement et cette dépendance du Québec envers Ottawa pour justifier le maintien de la province au sein de la confédération?

Si le prochain référendum était prévu pour la semaine prochaine, je comprendrais le camp souverainiste de présenter la situation financière du Québec de manière positive, quitte à spinner pour améliorer l’allure de notre endettement et de nos finances publiques. Les fédéralistes feraient l’inverse. Mais personne ne croit à un référendum à court terme.

Dans ces circonstances, et au risque de paraître naïf, comment expliquer que les partis considérés comme plus fédéralistes soient ceux qui militent le plus pour la réduction de la dette et l’assainissement des finances publiques, et que les partis officiellement souverainistes soient ceux qui s’intéressent apparemment le moins à ces questions?