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Grève, injonctions et démocratie

(Note: Vous trouverez deux autres billets sur la hausse des frais de scolarité ici et ici.)

 

Jeudi dernier, la Cour supérieure a accordé une injonction importante à l’Université de Montréal, interdisant à quiconque de « bloquer l’accès aux bâtiments du campus et aux salles de classe » ou « d’empêcher, en tout ou en partie, la tenue des activités universitaires ». La Cour a également ordonné aux manifestants de « s’abstenir d’intimider ou de menacer tout membre de la communauté universitaire », le tout sous peine d’outrage au tribunal. L’ordonnance est vaste et sans équivoque.

Certains étudiants ont réagi à cette décision avec colère, allant jusqu’à saccager les locaux de l’université. Je ne m’attarderai pas à ces événements. Ce qui retient mon attention, ce sont les appels lancinants des grévistes au respect de la « démocratie ».

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Première remarque : plusieurs associations étudiantes sont bien mal placées pour brandir le flambeau de la démocratie. En refusant de tenir des votes de grève secrets et des référendums — ce qui aurait donné une représentativité maximale et éliminé l’intimidation — les leaders étudiants ont considérablement affaibli leur position face à leurs propres constituants et à l’opinion publique. La légitimité du mouvement de grève serait beaucoup plus difficile à attaquer si toutes les garanties démocratiques possibles avaient été déployées, ce qui n’a pas été le cas.

Pour les fins de la discussion, toutefois, posons comme hypothèse que les mandats de grève constituent l’expression valide de la volonté d’une majorité.

La question qui se pose alors est la suivante: Quelles sont les conséquences de ce vote pour la minorité (parfois substantielle) d’étudiants dissidents? Perdent-ils leur droit d’assister à leurs cours sous prétexte que c’est le souhait d’une majorité de leurs camarades? Est-ce que la « démocratie universitaire » permet à une majorité d’étudiants d’éliminer ou de restreindre le droit de leurs camarades de suivre leurs cours, voire de les enrôler de force dans une lutte politique à laquelle ils s’opposent?

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Pour éviter la tyrannie de la majorité, les sociétés occidentales balisent étroitement le droit d’une majorité de retirer ou de limiter les droits d’une minorité. C’est le privilège de l’État, qui peut le faire suivant une procédure précise, dans le respect du cadre constitutionnel. Un gouvernement peut aussi, dans certains cas, déléguer cette autorité à certaines instances bien encadrées.

En dehors de ces cas précis, personne n’a le droit, seul ou en groupe, de restreindre les droits d’autrui. Il n’existe pas d’autorité « démocratique » générale permettant à toute majorité de conscrire la minorité.

Les résidants de votre rue ne peuvent pas, via un vote majoritaire, vous empêcher de planter des tournesols, de faire du vélo ou de manger de la viande. Des assemblées de « citoyens » n’ont pas le droit de forcer leurs voisins indésirables à déménager, ou à se conformer à leurs désirs. Vos collègues de travail, même une majorité d’entre eux, ne peuvent pas vous obliger à voter PLQ, PQ, CAQ, ou QS.

Dans tous ces cas, évidemment, rien n’empêche la majorité d’exprimer son point de vue. (Le même juge qui a accordé l’injonction jeudi a d’ailleurs refusé vendredi d’émettre une injonction qui aurait limité le droit des étudiants de manifester pacifiquement sur le campus de l’UdeM.) Mais — pour le plus grand bien des minorités et des dissidents de toutes sortes — ces « majorités démocratiques » ne peuvent pas imposer leurs désirs aux autres et leur retirer des droits. Elles doivent convaincre.

Or jusqu’à preuve du contraire, les associations étudiantes n’ont pas l’autorité de retirer ou d’interférer avec le droit des étudiants d’assister à leurs cours, même via des votes majoritaires. Ce que voudraient certains leaders et certaines associations étudiantes (soutenus par le milieu syndical), c’est le pouvoir d’imposer leurs décisions à tous, incluant par la force. Depuis quelques jours, les tribunaux ont rappelé que ce droit n’existe pas.

Certains ont dénoncé un débat de nomenclature ou la « judiciarisation » inutile du conflit. J’y vois plutôt, comme d’autres, le rappel essentiel d’un principe démocratique fondamental.