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Moi aussi je veux faire la révolution

Moi c’est Denis. Avec des chums camionneurs on bloque le pont Jacques-Cartier: pas loin de 1000 trucks parkés 24h par jour. Y’a pus un char qui passe depuis une semaine. On fait ça parce que le gouvernement — contrôlé par une petite clique d’intellos — a décidé d’augmenter les taxes sur l’essence. La hausse va nous coûter une fortune. Ça viole clairement notre droit de gagner notre vie pis de circuler librement. Mais le gouvernement ne bouge pas. Le crisse de ministre a même judiciarisé le conflit en prenant des injonctions contre nous, mais on bloque pareil. Pis laissez-moi vous dire que ça va mal tourner s’ils essaient de nous déloger de force. On va les avoir à l’usure, ces osties de gauchistes écolos du Plateau.

Moi c’est Réal. Depuis 20 ans, tous les propriétaires riverains des Laurentides peuvent faire ce qu’ils veulent sur leur terrain. C’est chez eux, après tout. Mais là, le gouvernement a adopté un règlement qui interdit de construire quoi que ce soit à moins de 30 mètres d’un lac. Plus de gazebo. Plus de spa. Et une chute de la valeur des propriétés, supposément justifiée par des considérations « environnementales » jamais prouvées. Mais on se laissera pas faire. Le gouvernement empiète sur nos droits. Dans notre coin, 80% des proprios se sont mis d’accord pour pas payer leurs taxes foncières tant que le gouvernement fera pas marche arrière. Ils nous appauvrissent déjà assez, on n’est pas assez con pour payer des taxes en plus. D’ici six mois, toutes les municipalités vont faire faillite. On les tient par les couilles. On fait comme les camionneurs — ils ont fait ça l’an dernier pis le gouvernement a fini par reculer.

Moi c’est Gilles. Je travaille à la commission scolaire Thérèse-Marie-Bourgeois. Avec d’autres commissions, on a décidé de suspendre le transport scolaire pour tous les enfants de la région pour dénoncer le projet du gouvernement d’éliminer les commissions scolaires. Ils disent qu’ils veulent « éliminer la bureaucratie et rediriger l’argent en première ligne », mais nous on croit que les commissions scolaires sont essentielles. Les parents se plaignent d’être pris en otage, mais on défend l’éducation et nos jobs contre des coupes sauvages, et ça c’est dans l’intérêt public. Tôt ou tard, le gouvernement devra plier, parce que les parents n’arrivent plus à envoyer leurs enfants à l’école et à arriver à l’heure au travail. Suffit d’être patients et on va les avoir à l’usure. L’an dernier, le gouvernement a pas eu le choix de céder sur l’affaire des lacs.

Moi c’est Daniel. J’habite à Verdemont. En mars dernier, la mairie — une belle gang de déconnectés — a décidé de construire une école dans le parc voisin. Ils disent que les autres écoles débordent, que c’est le seul endroit possible, et que tout sera fait pour préserver les espaces verts et la quiétude. Bullshit. Pas question que le projet aille de l’avant. Les citoyens du quartier sont d’accord: on a droit à notre qualité de vie. Certains se sont déjà enchaînés aux arbres, et on va saboter l’équipement de construction si le maire défie la population. Suffit de durer deux mois: si la construction est suffisamment retardée, l’école ne pourra pas être prête pour septembre, et il faudra trouver une solution de remplacement. Le maire saura que nous l’attendons de pied ferme s’il essaie de recommencer. Le projet tombera à l’eau.

Moi c’est Éric. Je suis étudiant à l’université. Pis je suis vraiment, vraiment tanné de l’ostie de grève. Ma session a été scrappée par une minorité d’exaltés qui ont illégalement pris mon département en otage. Ils disent qu’ils défendent leur droit à l’éducation. Ils encouragent la désobéissance civile et ne dénoncent pas le vandalisme. Parfait. Moi pis une couple de chums, on a décidé de jouer leur game. Nous aussi on va défendre le droit à l’éducation. On a préparé une couple de cocktails molotov pis on est allés se promener sur le Plateau. Un appart sur trois a un carré rouge dans la fenêtre. On a mis des masques nous aussi. Quelques militants vont savoir comment on se sent de recevoir des briques par la fenêtre. S’ils la veulent, la perturbation civile, ils vont l’avoir.

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Jusqu’à récemment, au Québec, il semble qu’on acceptait l’autorité de l’État démocratique — qu’on soit d’accord ou non. On acceptait que les décisions d’un gouvernement élu s’appliquaient à tout le monde et que, pour protester, on manifestait pacifiquement, et/ou on changeait de gouvernement aux prochaines élections. Chaque fois qu’on a fusionné ou défusionné des villes, qu’on a déplacé le CHUM, qu’on a haussé ou baissé les taxes, ou qu’on a décidé de subventionner un amphithéâtre ou une salle de concert, il y a eu des contents et des mécontents.

Mais là, pour certains, il semble que les règles du jeu aient changé. Grâce à notre « printemps québécois », les citoyens mécontents ont une nouvelle option: refuser l’autorité de l’État (peu importe qui gouverne), tout casser et forcer le gouvernement à faire marche arrière.

Nous étions et sommes plusieurs à espérer une « politique autrement » pour le Québec. Mais je ne croyais pas que ça impliquerait des bats de baseball, des bombes fumigènes, des matraques et du gaz poivre. Comme à peu près tout le monde, je suis profondément dégoûté par les casseurs hallucinés et les policiers trop zélés. Les marchands d’armes et de systèmes d’alarmes, les vendeurs de caméras de surveillance et de sécurité privée, eux, doivent jubiler.