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Commentaire rapide sur le pourrissement et le profilage

Je comptais changer de sujet après plusieurs semaines monothématiques. Semble que ce soit impossible.

1) Il est devenu pratiquement axiomatique de considérer que le gouvernement Charest a « laissé pourrir » le conflit étudiant, et qu’il est donc largement (voire totalement) responsable de la crise actuelle.

Ce gouvernement est certainement capable de « laisser pourrir » les choses. Pendant deux ans, une majorité écrasante de Québécois, de tous les horizons politiques, ont demandé une enquête sur la corruption, la construction et le financement politique — un problème infiniment plus grave qu’une hausse relativement modérée des droits de scolarité. Le gouvernement n’a pas bougé, « laissant pourrir » cette situation (qui durait depuis des décennies), et endommageant durablement la réputation du parti Libéral. Il a fallu que Jacques Duchesneau publie son rapport, que Patrice Servant démissionne, et que le Barreau du Québec dénonce le projet de commission émasculée pour que le gouvernement fasse enfin ce qu’il aurait dû faire plusieurs mois auparavant. Donc, oui: ce gouvernement est capable de laisser-aller-au-pourrissement contre-productif.

Mais est-ce véritablement le cas dans le contexte de la crise étudiante? Personne n’avait prédit l’ampleur du conflit, même s’il se préparait depuis un an. Au cours des derniers mois, le gouvernement a étalé la hausse, introduit le remboursement proportionnel au revenu et — crucialement — modifié le régime de prêts et bourses de manière à compenser totalement (et même davantage) l’effet de la hausse sur les étudiants issus de familles pauvres. L’accessibilité n’est plus en jeu, si même ce fut déjà le cas. Le gouvernement a aussi accepté la proposition des étudiants de discuter des moyens d’améliorer la gestion des universités.

Les assos étudiantes, elles, n’ont apparemment rien proposé d’autre qu’un maintien du gel ou un moratoire quelconque. Certains plaident encore pour une réduction des droits de scolarité au niveau de 2007.

Concrètement, exactement, que veut dire « laisser pourrir la crise » dans ce contexte? Refuser d’abdiquer totalement? Maintenir une politique à laquelle on croit et qui reçoit l’appui d’une majorité de la population?

Évidemment, le gouvernement n’a pas été parfait. J’en ai parlé ailleurs, comme beaucoup d’autres. À mon sens, rien n’aura été plus grave que son incapacité pathétique à expliquer son programme autrement qu’en termes comptables, et à justifier la hausse des droits de scolarité en réduisant le débat sous-jacent à la « juste part » — deux mots auxquels on peut faire dire n’importe quoi et qui n’expliquent aucunement en quoi le changement proposé est nécessaire, ou comment il s’inscrit dans un projet de société qui vise le « bien commun » dont les carrés rouges, malgré ce qu’ils croient, sont loin d’avoir le monopole.

Cela dit, à moins d’avoir abdiqué tout sens critique, on ne peut faire porter au gouvernement la responsabilité exclusive du « pourrissement » du conflit actuel — sauf si, évidemment, l’expression « laisser pourrir » n’est qu’une manière de dire que le gouvernement n’a pas entièrement capitulé devant le mouvement étudiant et ses alliés.

2) Un mot sur le « profilage politique » au Grand Prix. D’abord un principe que j’accepte et que je défends vigoureusement: l’interdiction pour l’État de discriminer ou de cibler des individus sur la base de leur apparence. On parle le plus souvent de profilage racial: un problème grave, écoeurant, répandu et abjectement toléré.

Le profilage « politique » dont il est question aujourd’hui est toutefois de nature différente: la police a ciblé les gens arborant le carré rouge — une décision personnelle de leur part — et non des gens d’une certaine couleur, sur laquelle ils n’ont aucun contrôle.

Par ailleurs, choisir de porter le carré rouge au Grand Prix n’était pas que l’expression d’un message politique neutre: dans le contexte actuel, le geste était aussi une certaine provocation. Des groupes associés aux carrés rouges avaient clairement annoncé leur intention de perturber le Grand Prix. Les incidents des dernières semaines — dans le métro, sur les ponts, à Victoriaville, au Palais des congrès, etc. — ont démontré que ces menaces devaient être prises au sérieux. Les carrés rouges « perturbateurs » étaient certainement la minorité. On peut même croire que les vrais fauteurs de troubles auraient évité d’attirer l’attention de la police avec un bout de tissu.

Mais la police avait la responsabilité d’assurer la sécurité et de prévenir les perturbations sur l’Île Sainte-Hélène. Que devait-elle faire dans ce contexte? Comment distinguer les carrés rouges pacifiques de ceux aux intentions nocives, ou encore des vandales sans carré rouge? Il est impossible de fouiller 300 000 personnes. Il faut cibler les contrôles. En l’occurrence, viser les carrés rouges (et toute personne superficiellement suspecte) ne semblait pas complètement irrationnel.

Le profilage « politique » n’était pas nécessairement justifié ou la meilleure solution. Visiblement, l’opération a eu comme effet d’exclure du Grand Prix des gens innocents. Mais quand vous avez la responsabilité de maintenir l’ordre et d’assurer la sécurité de centaines de milliers de gens contre une menace relativement identifiée, il faut bien commencer quelque part.