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À propos du débat des chefs

 

J’ai écouté le débat des chefs de ce soir en différé, chez des amis, avec une heure de retard. Je viens de rentrer chez moi. Il est 23h45. Volontairement, je n’ai pas été sur Twitter ou Facebook, et je n’ai pas écouté le spin post-débat. Au moment d’écrire ces lignes, je n’ai aucune idée de ce qui se dit à propos du débat, tant dans les grands médias que dans les médias sociaux.

Quelques observations éparses, subjectives mais aussi honnêtes que possible :

1) Les gagnants sont clairement François Legault et Françoise David. Les perdants sont clairement Pauline Marois et Jean Charest. Les nouveaux partis ont planté les anciens. Je ne vois pas beaucoup d’intérêt à distinguer entre la première et la seconde place, ou la troisième et la quatrième. François Legault et Françoise David avaient l’air de gens passionnés, authentiquement préoccupés de changement et de renouveau politique. Pauline Marois et Jean Charest avaient l’air de vieux politiciens de carrière, débitant inlassablement les mêmes lignes prévisibles.

2) Françoise David a fait preuve d’une aisance et une confiance remarquables. Elle a su éviter les questions techniques qui sont la faiblesse de Québec solidaire mais elle a réussi à faire passer Pauline Marois et Jean Charest pour des politiciens usés. Le respect — voire la complicité? — entre elle et François Legault était la chose la plus fascinante de la soirée. Chose certaine, Québec solidaire ne s’est pas trompé en l’envoyant au débat plutôt qu’Amir Khadir, une figure plus polarisante. Françoise David a été belle et grande ce soir. Elle mérite de remporter son élection dans Gouin et, sur la base du débat de ce soir, Québec solidaire devrait aller chercher des appuis supplémentaires chez les électeurs souverainistes de gauche.

3) François Legault a été excellent. Pour un homme qu’on considère souvent comme peu éloquent, il a été en pleine possession de ses moyens d’un bout à l’autre, jamais inquiété par les veules attaques de Pauline Marois et de Jean Charest. Il a généralement évité le piège de tomber dans une approche trop comptable. Sa formule des « mains sales » du PLQ et des « mains attachées » du PQ fonctionne. Son cri du coeur contre Pauline Marois — « les souverainistes n’ont pas le monopole de l’amour du Québec » — inspiré par la fameuse déclaration de Valéry Giscard d’Estaing, a fait mouche. Ses échanges avec Françoise David semblaient authentiquement sympathiques. Legault aurait pu mieux répondre sur la question identitaire (il a bifurqué vers les ambitions référendaires du PQ), mais dans l’ensemble sa performance était au-delà des attentes de plusieurs. L’homme a plus de charisme qu’on pouvait le croire. Il a le vent dans les voiles plus que jamais. Il peut former le prochain gouvernement.

3) Pauline Marois n’a pas eu l’air ridicule, mais ses échanges avec Jean Charest ont souvent donné l’impression d’une chicane de couple qui dure depuis 30 ans. Elle a évité plusieurs questions — notamment de François Legault — pour donner des réponses scriptées, qui sonnent faux. Elle a paru particulièrement faible sur la question de la réduction des dépenses publiques et n’a jamais pu contredire François Legault (encore lui), qui accusait son parti d’être organiquement lié aux grands syndicats et à la bureaucratie. Sa référence aux « parlants français », vers la fin du débat, a cimenté l’impression du PQ comme porte-parole de la bureaucratie syndicale, à court d’idées fortes, et cantonné dans une novlangue insipide. Le parti risque fort d’avoir perdu ce soir plus de votes qu’il en a gagnés.

4) Jean Charest a eu l’air d’un animal traqué du début à la fin du débat. Ses innombrables références au rapport Moisan, pour tenter d’attaquer l’intégrité du PQ, sont passées largement dans le beurre. En ce moment, les Québécois pensent à l’éventuel rapport Charbonneau, pas au rapport Moisan d’il y a 6 ans, et qui semble (à tort ou à raison) porter sur des broutilles. Il était sans doute de bonne guerre que Jean Charest s’attaque à l’agenda référendaire du PQ, mais ses tentatives de lier Pauline Marois et François Legault n’ont pu résonner qu’auprès des irréductibles du PLQ. Jean Charest est normalement habile en débat, et un maître des one-liners qui tuent, mais ça n’a pas fonctionné ce soir. Legault avait l’air de l’homme d’État, et Françoise David était plus authentique. Jean Charest, comme Pauline Marois, a eu l’air d’un politicien d’une autre époque. À toutes fins pratiques, il semble avoir déjà démissionné.

5) Je ne sais toujours pas ce que les commentateurs et spinners officiels pensent, mais je serais surpris qu’on ne prédise pas des gains pour la CAQ et QS, et des pertes pour le PQ et le PLQ. Lors des débats de TVA, le feu de Pauline Marois et de Jean Charest risque fort d’être dirigé vers François Legault, qui a confirmé ce soir qu’il constitue une menace formidable pour les deux partis, à un degré que l’ADQ n’a jamais atteint. Jean-Martin Aussant doit rager de n’avoir pas été invité au débat, et ça doit trinquer fort chez Québec solidaire et la CAQ ce soir. Chose certaine: l’élection du 4 septembre ne sera pas plate.