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Lettre de ma soeur Valérie à Jean, Pauline et François

 

Au lendemain du débat entre François Legault et Jean Charest, j’ai reçu le courriel suivant de ma soeur Valérie (c’est pas son vrai nom). Valérie est dans la jeune trentaine, elle a deux garçons en bas de 5 ans, et elle habite un rez-de-chaussée de triplex de Montréal où je vais régulièrement bouffer. Voici ce qu’elle m’écrit à 8:19 ce matin:

Je perds du sommeil à cause de Legault, Charest et Marois. Dis-leur ça: Je fais partie d’un auditoire clé. Je suis pas niaiseuse, de classe moyenne, indécise, nationaliste, mariée à un anglo et inquiète de l’état des choses. Ça fait longtemps que j’ai accepté que l’erreur est humaine.

Ce qui m’aurait le plus impressionné hier soir, c’est si Legault avait commencé le débat en disant ceci: « C’est une campagne importante, Jean Charest a peur, c’est normal, ses conseillers lui ont dit de dire les mots ‘pas fiable’ le plus souvent possible, vous pouvez vous amuser à les compter. » Et ensuite qu’il passe aux choses importantes, c’est-à-dire ses propositions, et l’AVENIR.

Si on laisse tomber le passé, les accusations et les justifications, il y a assez de temps dans un débat pour que les candidats expliquent leurs idées, etc. Ma génération n’avait même pas le droit de vote quand Legault était au PQ, on s’en SACRE [des histoires qui datent de cette époque]. C’est du gaspillage de notre temps et de leur salive.

Valérie parle évidemment pour elle-même, mais je crois qu’elle a raison sur plusieurs points.

D’abord, il est vrai qu’elle fait partie d’un auditoire clé : les jeunes familles aux identités un peu métissées, sans allégeance politique fixe. Les intégristes ultra-politisés de tous les camps ne changeront pas d’idée. C’est une lapalissade de dire que tout se joue chez les indécis qui (comme Valérie) suivent la politique de plus loin, ou seulement durant les campagnes électorales, comme les amateurs de hockey qui n’accrochent qu’aux séries éliminatoires.

Les indécis comme Valérie ne sont pas des idéologues. Leur vote ne repose pas une conviction profonde concernant la frontière entre la responsabilité individuelle ou collective, sur leur conception des missions fondamentales de l’État, ou sur un engagement passionné dans la destinée historique du Québec. Ils cherchent des solutions réalistes à des problèmes concrets, et ils sont prêts à écouter ce que tous les candidats ont à dire. Ils veulent comprendre le problème et les solutions qu’on leur propose.

Beaucoup d’indécis (et d’électeurs en général) sont allergiques aux détails techniques et à la langue de bois. Davantage que leurs concitoyens hyper-politisés, peut-être, ils sont préoccupés par des enjeux globaux — ils sont inquiets pour l’économie, ils pensent que le système de santé marche mal, ils veulent des meilleures écoles, et ils aimeraient sentir que le Québec en mène large. Ils s’emmerdent ou décrochent quand les débats deviennent trop étroits. Ils n’ont pas l’impression qu’on s’adresse à eux quand les échanges portent sur la redéfinition des rôles respectifs de la Caisse de dépôt et d’Investissement Québec, la modulation précise de la taxe santé, les positions sur une future hausse des tarifs du bloc patrimonial d’Hydro-Québec, l’administration locale ou fédérale de la caisse d’assurance-emploi, le rendement du fonds des générations par rapport au taux d’intérêt sur la dette publique, alouette. Même si c’est important, tout ça paraît petit et technique pour des non-spécialistes dont les inquiétudes sont plus larges.

Valérie ne semble pas du tout vouloir entendre parler du passé. Pas certain d’être 100% d’accord avec elle — c’est parfois inévitable pour comprendre le présent — mais je comprends son écoeurement d’entendre parler d’historiettes et de potinage remontant à 5, 10 ou 15 ans. Personne ne peut changer le passé; les débats devraient très majoritairement porter sur les propositions pour le futur. Je soupçonne que même les gens qui avaient le droit de vote en 1998 ont davantage envie d’entendre parler de 2012 — et 2020 — que de 1998, quand Google n’existait pas encore.

Finalement, quand Valérie écrit qu’elle a « accepté que l’erreur est humaine », je présume qu’elle veut dire que personne ne marque de points (dans son esprit), en rappelant que son adversaire a déjà pris une mauvaise décision, il y a six ou douze ans, dans un autre contexte. Je soupçonne même que Valérie considère que certains des « scandales » montés en épingle par les partis — financement gris il y a 14 ans! billets gratuits pour Céline Dion! contribution douteuse d’une nièce! — n’ont pas toute l’importance que certains leur accordent, et qu’elle serait prête à passer l’éponge sur des égarements isolés pour discuter des enjeux de fond. (La corruption érigée en système, c’est évidemment autre chose.) Ces petites jambettes excitent parfois les analystes et les militants, mais elles ne remuent visiblement pas tout le monde.

Donc voilà. Je ne sais si Valérie sera d’accord avec tout ceci. Et j’ai le regret de lui annoncer que, malgré ce qu’elle semble croire, je ne peux pas écrire directement à Pauline Marois, François Legault, Jean Charest et Françoise David pour leur dire ce que pense ma soeur. Mais je peux publier son courriel sur ce blogue, et espérer que les candidats et les partis prendront en compte ses modestes suggestions.