BloguesCandide Proulx

Hue, cheval

Le roman de Marie Hélène Poitras est un des titres les plus attendus de la saison. Après La mort de Mignonne, c’aurait été cruel de nous laisser tomber. Et ç’aurait été dommage de laisser croupir Mignonne, la jument-titre du recueil paru en 2005.

Griffintown raconte une saison (haute) dans la vie d’une dizaine de cochers qui mènent leur petit bonhomme de calèche dans le Vieux-Montréal: Paul, le patron, Marie, la p’tite nouvelle, John le cœur tendre, Alice-qui-est-le-sosie-d’Alice-Cooper, et d’autres, parfois dessinés à grands traits, tous formant une faune interdite que seuls quelques aventureux arrivent à percer.

C’est le grand tour de force de l’auteure: nous faire pénétrer le cénacle des cochers – la plupart des marginaux aux mœurs parfois suspectes-, nous inviter au plus près de bêtes, nous convier à l’Hôtel Saloon pour siroter de la pisse de cheval sous le regard de Boy, la monture originelle dont le buste est accroché en haut du bar. Les anecdotes hippomobiles, les allusions à la culture western et à l’histoire du quartier, le vocabulaire équestre, omniprésent, tout cela rend fait du roman une réelle plongée.

Le sentiment d’entendre les rumeurs d’un monde en voie de disparition hante la lecture. La ruée vers le condo menace les vieilles occupations de Griffintown. «Un jour – et ce jour approche –, cette tradition et tout le legs de connaissances cochères qui l’accompagne disparaîtront. L’écurie, le métier, l’utilité des chevaux de trait et les points d’eau dans la ville pour les abreuver, les vieux harnais, l’art de l’attelage: tout cela finira au musée.» Ou dans les livres.

Dommage que l’intrigue far-ouestienne sur fond de meurtre s’avère faiblarde et l’histoire d’amour un tantinet fleur bleue. Ces deux moteurs narratifs nous mènent néanmoins à une finale qu’on n’oubliera pas.

En librairie le 11 avril.

 

Griffintown
Marie Hélène Poitras
Alto, 2012
210 p.