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S’appeler «cols rouges», une fausse bonne idée?

Dans le fief de la Liberté qu’est devenue notre Capitale Nationale, le Rassemblement des Cols Rouges procède actuellement à une élection sur le web afin de choisir un candidat sensé le représenter lors des prochaines élections provinciales (sous le couvert de «candidat indépendant» puisque le RCR n’est pas un parti). Né sous l’impulsion de Sylvain Bouchard, animateur du FM93, le RCR veut donner une voie à la «majorité silencieuse» : à ceux qui ont l’impression de donner plus à la collectivité qu’ils n’en reçoivent, en général, et à ceux à qui les manifestations étudiantes donnent des boutons, en particulier.

Je vous encourage à visiter le site pour en apprendre davantage (quoique peu) sur les valeurs du RCR et de ses candidats potentiels. www.colsrouges.com. Si vous êtes comme moi, vous êtes peut-être surpris de voir un mouvement revendiquer le titre de red neck. Depuis plusieurs années, le terme sonne comme une insulte, pas comme une éloge.

Cette audace m’a donné envie de revisiter les origines du terme afin de mieux comprendre les idées qu’il véhicule. Au XIXè siècle, on appelait red necks les fermiers Blancs, et pauvres, du Sud des États-Unis parce que leurs cous devenaient rouges sous l’effet combiné du soleil, de la sueur et de la poussière d’argile rouge qui caractérise les sols de la région. Avec le temps, le terme s’est élargi : il désigne aussi bien une classe sociale (la classe des travailleurs du Sud des États -Unis, la working class) et les Américains qui partagent un ensemble de valeurs (le travail bien-sûr, mais aussi un attachement au Premier Amendement, une philosophie anti-establishment, la sympathie pour le mouvement pro-vie et parfois des préjugés racistes ou discriminatoires, entre autres).

La première manifestation politique de red-necks en sol américain a eu lieu au début du XXe siècle, alors que les mineurs de la Virginie revendiquaient le droit de se syndiquer. Lors de leurs manifestations, ils portaient des foulards rouges autour du cou.

S’appeler «cols rouges» est une manière de mettre en avant la valeur travail, là-dessus le RCR vise juste. Néanmoins, il en détourne les revendications en remplaçant les luttes pour des conditions décentes et le droit d’association en une lutte pour…pour quoi, en fait? Pour la tranquillité d’esprit? Pour avoir le droit de travailler sans se faire importuner par les revendications des autres? Pour obtenir des baisses d’impôts? La quête identitaire de la «majorité silencieuse» (ou de la classe moyenne – qu’il serait peut-être plus valorisant d’appeler la classe travaillante, comme le font les Américains) est réelle, il est toujours sain de se demander : qui suis-je? qui partage mes intérêts? qui me représente?; mais la cible reste floue. Le cri primal est lancé, reste à voir le programme.

Plus j’y pense, plus le choix de l’expression «cols rouges» m’apparaît comme un vrai bon coup. C’est fort, comme dirait l’autre, surtout d’un point de vue marketing, mais d’un point de vue historique aussi. À l’image des Noirs qui ont décidé d’adopter le mot «nègre» et des féministes qui emploient le mot «bitch», les cols rouges vont-ils réinventer le concept de red necks? Pourront-ils triompher de la connotation négative qu’ils ont eux-mêmes choisie?