BloguesLes vers de tête

Faire du pouce sur une guitare

Un Roadtrip, une guitare et une histoire de Noel.

 

Voilà maintenant plus d’une semaine que je suis sur la route. Armée de suggestions musicales et autres playlists conçues pour l’occasion, les kilomètres s’avalent à bouchées doubles sur les routes du nord des États-Unis. Les classiques s’enchainent, et parmi eux,  On the road again, chanson on ne peut plus efficace qu’il est difficile de ne pas écouter en introduction, chaque matin, de Montréal à Cortland, puis Buffalo, Cleveland,  Detroit, et enfin Toronto, d’où vous parviennent ces lignes.

 

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Vous devinerez sans surprise qu’étant de passage à Cleveland, le Rock’n Roll Hall of Fame, s’imposait. Il m’aurait fallu y rester trois jours pour avoir le temps d’apprécier dans son ensemble l’impressionnante collection d’objets et de lire autant d’informations. Mais le concept du Roadtrip étant ce qu’il est, on tente de s’en mettre plein les yeux autant que possible dans des villes ou l’on est que de passage. Si bien que, de la ville natale de ma chère Ani DiFranco à la triste mais touchante Motor Town, je n’ai pu m’empêcher d’entrer dans chaque magasin de musique croisé pour en apprécier les instruments. Après m’être retrouvée à deux pas de la guitare sur laquelle John Lennon a composé les chansons qui ont inspiré et influencé presque tout ce qui parvient à nos oreilles aujourd’hui, je contemple ces jeunes guitares en attente d’adoption, me demandant si l’une d’entre elles finira, elle aussi, dans un musée. Et me voici replongée dans mes propres souvenirs, repensant à cet instant ou j’ai moi-même reçu ma première guitare. Souvenirs que je vous offre ici.

 

 

 

La guitare noire

 

C’est la veille de Noël de l’an de grâce 1993.

Toute la famille est réunie dans le sous-sol brun du duplex italien que mes parents ont déniché à notre arrivée à Montréal, l’été précédent. 

De tous les logements visités, il s’agissait du seul ne leur ayant pas donné envie de pleurer ou d’être malades. Il fallait donc que ça fasse, en attendant. 

 

Cette année j’ai demandé un kit de drum, et devant le flagrant manque d’enthousiasme parental, j’ai fini par me rabattre sur une guitare, que je veux noire. En 1993, c’est la mode.

 

Manifestement, rien de ce qui se trouve sous l’arbre ne semble correspondre à mes souhaits, or je dessine nerveusement des maisons avec mes doigts dans le tapis shag en attendant que ça passe, tentant de dissimuler le subtil tremblement de ma lèvre inférieure.

 

Puis j’entends mon nom, trois fois, pour finir par sortir de ma rêverie (il y a maintenant tout un village sur le tapis). 

On me remet un long paquet cylindrique, que je développe pour découvrir avec surprise un tube de carton, dans lequel un trou a été pratiqué pour ensuite tendre quelques élastiques de rubber à la manière de cordes. L’ensemble de l’œuvre est agrémenté de barbeaux de feutre rappelant les clés et autres éléments d’une guitare.

 

Mon père, les épaules encore sautillantes du fou rire de l’homme fier de sa blague me sourit en disant:

 

– tu voulais une guitare ma fille, ben en v’la une!

 

Sacré papa!

 

Bonne joueuse, j’ajoute un ou deux rires nerveux puis retourne à mon village. 

 

Je suis sur le point de rencontrer les limites du 2D quand mon nom résonne encore. Cette fois on me présente une toute petite boite, de laquelle j’extirpe, comme si tout le poids de ma déception pesait sur cet objet, une miniature guitare de plastique, noire. 

Dessus se trouvent sept boutons aux couleurs pastel desquels j’obtiens une gamme chevrotante. 

 

– Tu voulais une guitare noire ma fille, en v’la une!

 

… Sacré papa…

 

Pendant que mon frère déballe son trois-skis et ma soeur sa machine à coudre, je me demande comment faire avaler l’un au premier, et me servir de l’autre pour faire souffrir la seconde. 

 

C’est cet instant que choisis mon père pour venir me glisser à l’oreille qu’il a besoin de mon aide pour quérir le cadeau de ma soeur, caché dans le garde-robe de cèdre. J’en ai presque un frisson de dégout mais me prête au jeu, mon ombre de mouton noir étant restée dans ma case à l’école. 

 

Nous nous dirigeons en douce sur les lieux du crime d’où il récupère, caché entre deux manteaux de fourrure, un grand étui de guitare tout neuf.

 

Je suis anéantie. Je ne peux retenir plus longtemps le flot de larmes qui me submerge devant cette criante injustice. Je n’en reviens tellement pas que ma soeur obtienne, sans même l’avoir voulu, ce dont j’ai rêvé si fort, que je ne me rends pas compte que toute ma famille me sert dans ses bras en s’excusant de cette blague qui est allée un peu loin. 

 

La suite est facile à deviner. Dans l’étui m’attendait une magnifique guitare noire avec laquelle j’allais amorcer ma plus longue histoire d’amour à ce jour. 

 

Bien entendu je l’ai trompée à quelques reprises, et j’ai fini par la quitter pour une plus jeune, puis une autre, jusqu’à collectionner les relations à ne plus trop savoir en faire le décompte. 

 

Mais nous sommes restées bonnes amies elle et moi, et encore aujourd’hui elle m’accompagne dans toutes mes demeures, pour agrémenter mon regard de ce souvenir d’une époque. 

 

Sacré papa!

 

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Sur ce je reprends la route. La fin de cette histoire de roadtrip est encore à écrire. Il reste quelques arrêts à déterminer entre Toronto et Montréal.

Et puisque la saison des apéros bat son plein, je vous propose cette semaine une Playlist ensoleillée parfaite pour les chaudes fins d’après-midi, un verre en main.  Tchin tchin!