Oh, comme ils étaient tous élégants et rayonnants hier soir sur le tapis rouge de la Place des Arts! Mais ceci est le dernier commentaire ayant trait à la mode que vous lirez dans ce billet. Cette 37ieme édition du Gala de l’ADISQ a marqué le retour en force d’artistes ayant du métier derrière la cravate. Des artistes qui, comme l’a si bien exprimé l’animateur Louis-José Houde, forts de leurs nombreuses années de carrière, peuvent se permettre des costumes à paillettes sans que quiconque puisse médire.
L’année des apogystes
Les Moffatt, Leloup, et Boulay de notre scène musicale, Louis-José les surnomme, dans l’un de ses brillants sketches d’animation, les apogystes. L’animateur nous confie plus tard qu’il est particulièrement satisfait de la cuvée 2015, de la diversité de la scène musicale actuelle. Et bien qu’il y ait beaucoup de récipiendaires pour lesquels il se réjouit, il est particulièrement ravi, pour ne citer que cet exemple, que le prix de l’artiste féminine de l’année soit remporté par l’artiste Ariane Moffatt. « On a tous un penchant naturel pour la nouveauté, nous dit-il, et c’est cool. Mais qu’Ariane gagne ça à ce moment-ci de sa carrière, c’est autre chose. » Cette pérennité est un signe de santé pour l’industrie. De quoi être un peu rassuré, surtout lorsque le CRTC annonce une révision éventuelle des quotas de musique francophone, sujet difficile à éviter pour l’animateur, mais hautement pertinent quand on sait qu’en bout de ligne, ce sont en quelque sorte les diffuseurs qui nous dictent ce que nous aimons.
Quoi qu’il en soit, il n’y a pas que Louis-José Houde qui était heureux hier soir de voir certaines têtes être couronnées. Interrogés sur le tapis rouge quelques minutes avant le gala, plusieurs artistes m’ont dit espérer voir autant que possible Leloup grimper sur scène, témoignant ainsi du grand bien que fait son retour. Et si l’amour du public est la nourriture de l’artiste, la reconnaissance des pairs, elle, est la tape dans le dos qui donne envie de continuer de chercher à manger…
Les Gagnants
Récipiendaire du prix Spectacle de l’année dans la catégorie interprète pour l’album Merci Serge Reggiani, Isabelle Boulay, douce, calme, généreuse, nous dit combien ce spectacle est l’un de ceux l’ayant rendue la plus heureuse.
« J’étais dans un état de joie profonde à chaque fois que je le faisais. » Elle nous parle avec émotion de cet homme (Reggiani) qui pour elle était un interprète à la démarche d’auteur, un homme d’une humanité exceptionnelle.
Et quand j’ose la question à savoir, après Reggiani, l’œuvre de qui elle voudrait pouvoir explorer, elle me répond en souriant, mais en spécifiant qu’elle n’est pas pressée, qu’elle aimerait beaucoup chanter l’œuvre de Willie Nelson. À suivre donc.
Je m’entretiens ensuite avec mon vieil ami Patrice Michaud, qui veut bien me laisser toucher de mes mains non lauréates le Félix du Spectacle de l’Année, Auteur-Compositeur-Interprète qu’il vient de remporter. À celui au charme de qui on succombe à l’unanimité, je demande ce qui lui résiste encore, lui fait perdre patience. Spontanément il me parle de bêtise humaine, de nivellement par le bas. Le genre de comportement qui le ramène, me dit-il, à son adolescence, à l’époque où il avait la mèche plus courte. Sur une note plus légère, je lui propose de choisir, toute catégorie confondue, de la bouche de qui il aimerait entendre un de ses textes, et c’est nul autre qu’Elvis qui l’emporte. Et il aimerait l’emmener chanter en Europe, parce que le king n’a jamais eu la chance de se produire à l’extérieur des États-Unis. En tout cas, moi, pour voir ces deux-là se balader en autobus sur les routes européennes, j’aurais bien voulu être roadie.
De passage en salle de presse après avoir remporté le Félix de l’Album Pop de l’année, on questionne Ariane Moffatt sur les raisons pour lesquelles elle a confié avoir désiré plus particulièrement ce trophée.
Après quinze ans de carrière, nous dit-elle, sentir qu’il y a encore une écoute pour ce que l’on essaie d’expérimenter, surtout peut-être lorsqu’il s’agit d’un projet aussi personnel et intime que 22h22, fait que l’on se pose un peu moins souvent la question à savoir si l’on a encore notre place, si notre travail est encore pertinent.
Et quant à l’expérimentation en tant que telle, la recherche constante du son nouveau que l’on peut lui attribuer d’un album à l’autre, elle nous affirme que c’est l’essence même de sa raison de faire de la musique. Elle cherche à se surprendre elle-même, en se retrouvant dans des zones sonores qu’elle n’avait pas encore explorées. Elle en fait un défi personnel, bien que l’exercice s’opère en général de façon instinctive, non planifiée.
Le tapis rouge
Qui dit soir de gala dit tapis rouge, sourires convenus et conversations éclair à grands coups de flashs de caméras. J’en ai donc profité pour questionner nos artistes à différents propos, dont voici les faits saillants.
J’ai confié à Pierre Lapointe qu’il était, parmi la jeunesse musicale de la scène québécoise, l’idole de Michel Louvain, qui venait de m’en faire l’aveu. Ému, Pierre rétorque qu’il a toujours eu beaucoup de respect pour Michel Louvain et Michèle Richard, ajoutant au passage qu’il a déjà frenché cette dernière. « Les « Michels » ont jeté les bases de ce qu’est notre métier, et c’est parce qu’ils l’ont modelé par leur passage qu’on peut le pratiquer de la sorte aujourd’hui. »
Lorsque l’on retourne la question et que l’on demande à de jeunes artistes qui, dans la salle, sont leurs idoles de jeunesse, voici en rafale ce que l’on obtient:
Louis-Jean Cormier me parle de Serge Fiori, qui a écrit de grandes chansons, ainsi que de Louis-José Houde, dont il admire le travail.
François Lafontaine et Marie-Pierre Arthur me répondent Dominique Michel à l’unisson. Leur prédiction est que nous allons tous nous sentir bien petits à la vue du montage vidéo relatant de grands moments de carrière de cette femme sans âge à qui l’on rend hommage ce soir.
Karine Pion et Olivier Langevin de Galaxie s’accordent quant à eux pour donner la palme à Leloup. Que dire de plus?
L’arbre est dans ses feuilles
Le Québec, au fond, ça n’est pas si grand. L’industrie de la musique y est donc un petit milieu, et nos artistes s’encouragent entre eux, ce qui est fort bien. En contexte d’entrevue, ça peut donner lieu à de sympathiques chaînes à la sauce «donnez au suivant» telles que celle-ci.
Ariane Moffatt aimerait entendre ses chansons interprétées par Marie-Pierre Arthur, qui serait ravie de voir un Félix remporté par Galaxie, dont les membres sont d’avis qu’Ariane Moffatt a su surprendre avec le changement de son proposé sur 22h22, album que Marie-Mai aime beaucoup écouter en voiture.
Herby Moreau est surpris par la découverte de Patrice Michaud, qui a recommencé à écouter en boucle le dernier album de Salomé Leclerc, qui serait curieuse d’entendre ses textes chantés par Mara Tremblay.
Un Peu de Génétique
En quittant le tapis rouge, j’ai croisé au passage Claudine Prévost, Catherine Pogonat et Herby Moreau, trois chroniqueurs culturels dont je respecte beaucoup le travail et les opinions. J’ai eu envie de savoir ce qu’ils feraient d’un pouvoir leur permettant de fusionner les univers musicaux de nos artistes.
Claudine Prévost aimerait voir les univers de Jean Leloup et de Pierre Kwenders se réunir. Leloup ayant vécu en Afrique plusieurs années, le résultat ne pourrait être que riche et doux.
Caherine Pogonat souligne au passage que la reprise par Marie-Pierre Arthur d’une pièce de Diane Dufresne, bien que semblant improbable, était franchement réussie, avant de se risquer à proposer un mélange de Leloup et d‘Harmonium.
Quant à Herby Moreau, il n’y va pas de main morte, et place dans le même chaudron Patrice Michaud pour les mots, Ariane Moffatt pour le rythme, Jorane pour les mélodies et Jean Leloup pour que ça rock.
En somme
Les deux grands gagnants de cette 37ieme édition de l’ADISQ sont sans équivoque Jean Leloup et Ariane Moffatt. Par ailleurs, d’un gros gala comme celui-là, on pourrait ne retenir que les paillettes. Moi, au delà du brillant, j’y vois une grande famille avec du talent à revendre qui vient célébrer, affublée de ses plus beaux atours, le travail de chacun. Pas une compétition, pas une simple remise de prix, mais une célébration de la diversité de nos paillettes québécoises. Champagne!
Liste des récipiendaires par catégorie
Spectacle de l’année – interprète
Isabelle Boulay
Spectacle de l’année – auteur-compositeur-interprète
Patrice Michaud
Révélation de l’année
Philippe Brach
Interprète masculin de l’année
Jean Leloup
Interprète féminine de l’année
Ariane Moffat
Groupe ou duo de l’année
Galaxie
Chanson de l’année
À Paradis City
Jean Leloup
Auteur ou compositeur de l’année
Jean Leloup pour
À Paradis City, Jean Leloup
Album de l’année-pop
22h22
Ariane Moffatt
Album de l’année-Folk
Plus tard qu’on pense
Fred Pellerin
Album de l’année-Adulte Contemporain
Si l’aurore
Marie-Pierre Arthur
À venir; une playlist de ce que vos artistes écoutent en voiture.