Voici la première édition d’une chronique qui, je l’espère, deviendra récurrente. Je couvrirai surtout la sortie de nouveaux albums, avec une préférence pour la musique issue de la scène locale et les albums lancés en format physique. Je vais parfois y glisser des rééditions ou encore des découvertes de vieux stock.
Voici cinq sorties récentes qui ont attiré mon attention.
+MATANA ROBERTS – Coin Coin Chapter 3 : River Run Thee – Constellation Records +
Après un premier Coin Coin absolument spectaculaire et un deuxième Coin Coin qui m’avait laissé un peu indifférent, voici le troisième chapitre de Coin Coin, River Run Thee. Si le premier chapitre comptait sur seize musiciens montréalais et que le deuxième était porté par un sextuor new-yorkais, ce troisième chapitre est un album solo très studio pour lequel Roberts joue du saxophone, des synthés et du piano, en plus de chanter et de traiter des field recordings. Le résultat est un collage très dense parsemé de citations d’oeuvres musicales connues et du jeu de saxophone parfois Ornettesque de Roberts. Mon disquaire préféré Michel de l’Oblique m’avait averti que l’album avait son lot de noise et ce n’est pas faux, on se retrouve parfois presque dans les mêmes eaux que Aaron Dilloway et Jason Lescalleet et c’est bien apprécié.
+CHEAP WIG – Magic Idea – [Indépendant]+
Le premier album de Cheap Wig est décidément le résultat d’un travail passionné et sérieux, étant enregistré, produit et distribué par le groupe lui-même. Si je dois admettre que la qualité du son ne rend pas exactement justice à la performance live du groupe, il n’en demeure pas moins que Magic Idea est la solution parfaite pour écouter les compositions pesantes et entraînantes du groupe montréalais dans le confort de mon salon. Magic Idea présente le répertoire varié du groupe, qui compte autant sur des chansons hardcore d’une minute que des pièces rock beaucoup plus lentes et sombres. Les paroles sont assez punk rock et définitivement politisées, abordant entre autre des questions reliées à la sexualité, le machisme et l’émancipation féministe
Le son Cheap Wig détonne du reste des groupes par son penchant plus pop qui rappelle l’écriture des Distillers et de Be Your Own Pet. L’une des forces du groupe est le contraste entre sa section rythmique musclée mais très straight et la guitare et la voix qui sont davantage hors de contrôle. En ce sens, je vois un lien de parenté éloigné avec Scratch Acid et il y a définitivement un peu de David Yow dans la performance de Ethel Eugene.
+MANDS – 15/4/2014 – Misery Loves Co. +
Le terme power trio est ben drôle à la base mais si un groupe montréalais le mérite, c’est sûrement Mands. Formé d’Amy MacDonald (Nennen, Public Transit), Kaity Zozula (Lungbutter, Harsh Reality) et de Tim Keen (Ought, Silk Statue), ce trio existe depuis bientôt deux ans et a précédemment sorti un EP et un album split avec Lungbutter. Ce premier album est une création studio particulière pour laquelle le groupe a improvisé ensemble sans voix durant près de 50 minutes. La chanteuse du groupe a par la suite ajouté sa voix lors d’une seconde session d’enregistrement. La force de Mands réside sans aucun doute dans l’équilibre qui existe entre la pesanteur de la section rythmique et la guitare déchaînée et assez métal par moments de MacDonald. Les paroles plutôt abstraites et introspectives de la chanteuse s’agencent à merveille avec la musique heavy du trio et détonnent d’avec les paroles habituellement associées à ce type de musique.
En tant que fan de Boris et de ISIS, j’ai été séduit par le son expérimental du groupe, qui ne tombe toutefois jamais dans l’exploration vaporeuse ennuyante. En tant que guitariste, je suis bien jaloux car c’est une véritable clinique de guitare que donne MacDonald. Sans être facile d’accès, 15/4/2014 demeure intriguant d’un bout à l’autre.
+PHILIPPE BATTIKHA – Invisible Backgrounds – Samizdat Records +
Le trompettiste Philippe Battikha fut l’un des premiers trompettistes que j’ai eu la chance d’entendre lorsque je me suis intéressé à la scène locale de free jazz en 2008. C’est avec plaisir que je l’ai vu toucher à toutes sortes d’approches au cours des six dernières années, que ce soit avec le métal expérimental de La Part Maudite, les improvisations free jazz avec Corse ou le travail plus noisy et électronique en solo. Invisible Backgrounds prend une approche singulière en incluant du matériel très éclectique, allant de la performance jazz solo très mélodieuse à des explorations plus électroniques ainsi que l’utilisation de field recordings. Bien que l’album soit majoritairement un projet solo, l’excellent contrebassiste Jonah Fortune accompagne avec brio Battikha sur deux pièces particulièrement bien réussies. Battikha a aussi profité du studio pour ajouter du piano sur certaines pièces ou pour “multiplier” sa trompette. Trop souvent, les albums solo en musique expérimentale s’en tiennent surtout à un seul son et le choix plutôt créatif de Battikha d’aller toucher à l’ensemble de son identité musicale offre un album de qualité tout en nuance et en beauté.
+HOT DATE – Burns on Continuum – Talking Skull +
Hot Date est un duo de Brooklyn formé du guitariste Chris Welcome et de la contrebassiste Shayna Dulberger. Les deux sont bien occupés et font partie de la relève free jazz new-yorkaise qui se situe de plus en plus à Brooklyn. Pour Hot Date, Welcome et Dulberger sortent toutes les pédales du garde-robe et se lancent dans une exploration noise où la guitare et la contrebasse sont perdues dans une swamp de bruits étourdissants et de textures incertaines. Si j’ai trouvé que le premier album avait quelques longueurs, j’ai apprécié le radicalisme de leur deuxième opus, qui n’offre aucun répit à ceux qui oseront glisser la cassette dans leur lecteur. Talking Skull est l’un des labels montréalais les plus intéressants à l’heure actuelle et Burns on Continuum est une sortie de qualité qui démontre à merveille l’éclectisme du label.
Hot Date sera à Montréal pour le lancement de Burns on Continuum le 9 avril à la Passe.