Le Festival International de Musique Actuelle de Victoriaville présentait sa 31e édition du 14 au 17 mai 2015 avec dix-neuf concerts d’artistes d’ici et de partout dans le monde. Je dois avouer d’emblée que la programmation de 2015 m’intéressait moins que celle des années précédentes, ce qui me poussa à limiter mon séjour aux concerts de la fin de semaine. Bien entendu, j’ai réussi à trouver mon compte, comme j’ai parfois été laissé sur ma faim. Voici mon compte-rendu!
La journée de samedi a débuté avec un choix audacieux, un quatuor all-star formé du québécois Martin Tétreault et de l’autrichien Dieb 13 aux tables tournantes, de l’autrichien Franz Hautzinger à la trompette ainsi qu’Isabelle Duthoit de France à la voix et à la clarinette. Présentant une longue pièce d’une heure intitulée “where is the sun”, le groupe, qui avait déjà joué ensemble auparavant, a démontré une chimie redoutable dans son approche bruitiste et minimaliste. Alors que les platinistes ont créé de riches textures surprenantes, Hautzinger jouait de sa trompette quart de ton qui donnait un appui rythmique solide tandis que Duthoit ajoutait des cris haut perchés et des soubresauts aigues intrigants à la clarinette. L’ensemble du concert était un excellent exemple du flair du FIMAV pour inviter des improvisateurs européens plus “subtils” dans leur approche à la musique improvisée.
Le deuxième concert de la journée se déroulait dans le Colisée des Bois-Francs, l’aréna dédié à l’équipe de la LHJMQ de Victoriaville. Le Third Eye Orchestra de Hans Tammen est actif depuis une dizaine d’année à New York et regroupe plusieurs des musiciens les plus occupés de la Grosse Pomme. Parmi ceux-ci se retrouvaient Ned Rothenberg, Robert Dick et Shelley Hirsch pour ne nommer que ceux-là. Les dernières années du FIMAV ont présenté un bon nombre de concerts de musique improvisée avec de grands ensembles et l’ensemble de Tammen n’avait malheureusement rien de spécial à offrir. Cobra de John Zorn et les Conductions de Butch Morris ont maintenant plus de trente ans et il est de plus en plus douloureux de voir les mêmes concepts paresseux revenir dans ce type d’ensemble. On joue avec des partitions qui s’insèrent à des moments aléatoires, on pointe un soliste qui doit offrir un solo tonitruant, on demande aux diverses sections du band d’accélérer ou de ralentir. La démarche est froide et prévisible et on se croirait dans une course à relais plutôt que dans un projet de nature artistique. Malgré la qualité du membership du groupe, ce fut un concert largement pénible et oubliable.
Pour le dernier concert de l’après-midi, le duo allemand de clarinettistes The International Nothing jouait diverses compositions de son répertoire. Sans amplification, assis l’un en face de l’autre, les clarinettistes Michael Thieke et Kai Fagaschinski proposent une musique minimaliste avec de longues sections statiques contenant peu de variations qui créent un drone hypnotisant. Les deux musiciens jouent avec un rythme et une intensité très similaires et ne se dédoublent qu’à des moments clés. Ce fut un concert intéressant, long par moments, mais d’une intensité louable.
La soirée de samedi a débuté avec une des têtes d’affiche du festival, le guitariste idolâtré de tous, Marc Ribot. Si Ribot s’est rendu à Victoriaville près d’une dizaine de fois avec John Zorn, c’était la première fois en près de vingt ans qu’il s’y rendait pour présenter un de ses projets. Alors que sa dernière visite “solo” était pour présenter son groupe Shrek, il était invité cette année avec son excellent trio rock Ceramic Dog. Ceramic Dog est une drôle de bête à quelque part entre un groupe de hard rock avec un côté blues (j’ose dire zeppelinesque), un groupe de punk rock sloppy très Robert Quine et un trio de musique free électrique. Présentant autant des longs jams vaguement free jazz avec des thèmes simples mais efficaces et des chansons blues surprenamment traditionnels, le trio de Ribot a profité amplement du jeu de basse exceptionnel de Shahzad Ismaily et de l’intensité et de la créativité du batteur Ches Smith. Smith a une force de frappe peu commune dans le monde du free jazz et ses explorations aux percussions électroniques viennent souvent interrompre avec panache les moments plus mélodieux du groupe. Si pour certains il s’agit d’un irritant, ces bizarreries m’ont paru essentielles pour préserver le côté plus imprévisible du trio. Bien évidemment, Ceramic Dog est avant tout le show à Ribot et les fans du guitariste ont eu droit à de beaux moments lorsque Ribot sortait l’artillerie lourde et en mettait plein la vue avec ses solos décapants, toujours en parfait équilibre entre le punk rock new-yorkais bruyant et un côté plus hard rock bien assumé. Au final, ce fut un concert de qualité que présenta Ceramic Dog, un peu court et pas nécessairement aussi intense que ce à quoi ils nous ont habitué, mais bien satisfaisant tout de même.
Après l’aventure Ceramic Dog, c’était au tour des Nels Cline Singers de se rendre sur scène. Pour l’occasion, le FIMAV a demandé à Cline de présenter une version big band de ses Singers, son groupe avec lequel il tourne et endisque depuis de nombreuses années. En plus de quelques membres réguliers des Singers tels que le bassiste Trevor Dunn, le batteur Scott Amendola et la harpiste Zeena Parkins, le percussionniste Cyro Batista, le claviériste Brian Marsella ainsi que Marc Ribot se sont ajoutés au groupe. Pour bien des fans de guitare free, c’était un rêve devenu réalité que de pouvoir voir les deux leaders du mouvement se rejoindre sur scène. Nels Cline a mené le septet avec goût, amenant son groupe au travers de pièces plus rock qui n’avaient rien à envier à Earth, des improvisations de groupe assez bruyantes, ainsi que des pièces en plein territoire de jazz latin hyperactif à la Dreamers. Il était d’ailleurs difficile de ne pas remarquer que le groupe assemblé par Cline comptait sur la moitié des Dreamers de John Zorn, ce qui n’avait rien de mal en soi. Étant donné qu’il s’agissait du premier concert de cette formation élargie, il est évidemment que le groupe a parfois manqué de cohésion et de finesse. De plus, le choix des pièces râtissait large, se promenant d’un style à l’autre sans trop de ligne directrice. Les moments de grâce du groupe ont cependant racheté ces quelques failles. Les moments plus intenses de Zeena Parkins à la harpe étaient d’une férocité sans nom et Ribot et Cline se sont bien partagé la scène, s’échangeant gaiement des riffs pesants et des solos de guitare époustouflants. Si Ribot a surtout gardé un son plus clair avec une petite dose d’overdrive, Cline a démontré l’étendu de sa maîtrise des effets en manipulant de façon étendue le son de sa guitare. Il sera intéressant de voir si cette version grand ensemble des Nels Cline Singers endisquera car ses premiers pas sont bien intrigants.
La journée du dimanche a débuté avec la présentation de Claws and Wings, une oeuvre du violoncelliste Erik Friedlander dédiée à sa femme décédée depuis quelques années. Friedlander, que l’on a souvent entendu avec John Zorn et Guy Klucevsek, était accompagné de la pianiste Sylvie Courvoisier et de l’électroacousticienne Ikue Mori. Alternant entre ses techniques rafinées de pizzicato et de longues envolées lyriques avec son archet, Friedlander s’occupait de la partie la plus mélodieuse de ses compositions tandis que Sylvie Courvoisier s’est dépassée dans son utilisation créative de techniques étendues qui donnaient une rythmique intéressante au trio. Ikue Mori a offert une performance rafraîchissante en rajoutant des textures électroniques délicates plutôt différentes de ce à quoi elle a habitué le public du FIMAV. Si ces trois musiciens de la scène downtown new-yorkaise sont bien capables de faire de l’improvisation libre agressive, ce fut une belle occasion de les voir utiliser leur virtuosité pour une musique beaucoup plus posée et délicate.
La Natural Information Society de Joshua Abrams avec Hamid Drake était perçue par plusieurs festivaliers comme l’attraction jazz du festival. Les puristes furent peut-être déçus car bien que l’ensemble de Abrams avait des éléments de jazz, c’était avant tout un trip assez décalé avec des éléments de rock psychédélique superposés à des influences de musiques traditionnelles africaines. L’autoharpe chromatique, la guitare douze cordes et l’harmonium offraient de longs drones hypnotisants tandis que trois percussionnistes dont Drake ont créé un flot constant de rythmes répétitifs mené par le guimbri de Abrams. Je pourrais discuter longuement d’à quel point j’ai trouvé intéressant l’apport du guimbri, qui offrait un son unique quelque part entre la basse et la contrebasse et qui permettait à Abrams de diriger avec brio son ensemble. Autant d’autres musiciens de musique improvisée semblent se perdre avec le guimbri, autant j’ai trouvé que Abrams avait une voix forte et unique avec l’instrument et qu’il naviguait sans problème entre des moments plus méditatifs et des élans rythmiques époustouflants.
Le concert de 17h du dimanche avait de quoi piquer la curiosité, surtout dû à la présence du musicien Akio Suzuki, un vétéran japonais de la musique expérimentale. Ses performances solos comme ses collaborations démontrent un dévouement louable à l’expérimentation minimaliste quasi-silencieuse, à l’aide d’instruments inventés inusités. Son comparse Aki Onda est quand à lui un musicien plus jeune qui joue davantage avec des enregistrements, des radios et des cymbales. Si l’approche minimaliste de Suzuki m’a intrigué en début de concert, j’ai trouvé l’ensemble du travail de Onda d’un ennui mortel. Après avoir diffusé des field recordings d’un cour d’eau, celui-ci s’est promené dans la salle avec une petite radio qui diffusait du white noise avant de traîner des cymbales par terre. Le tout semblait être fait avec un détachement un peu détestable, un peu comme quelqu’un qui fait ses courses et qui a hâte d’avoir fini. Malgré l’attention aux détails de Suzuki, la performance n’avait rien d’intéressant à offrir tellement la contribution de Onda m’a semblé dérangeante et impertinente. Comme plusieurs, j’ai fini par lever les voiles en me disant que j’avais mieux à faire que de voir quelqu’un faire du bruit pour faire du bruit avec des méthodes qui ont été abondamment utilisées avec plus d’inventivité.
Le dernier concert auquel j’ai assisté durant le FIMAV m’a permis de quitter sur une bonne note. Le quatuor Kaze est un groupe regroupant le duo japonais formé de la pianiste Satoko Fujii et du trompettiste Natsuki Tamura et le duo français composé de Christian Pruvost à la trompette et de Peter Orins à la batterie. Après avoir entendu parlé de Fujii depuis des années, ce fut un réel plaisir de finalement l’entendre en concert et de voir la force de frappe qu’elle possède et sa créativité sans borne pour utiliser les techniques étendues au piano. Si elle s’est faite plus discrète que le reste du groupe, son apport m’a abasourdi. Autant en mélodie qu’en rythme, Fujii épate. De son côté, le batteur Orins a ajouté au rythme de Fujii d’une excellente façon, donnant au groupe un côté plus imposant et hyperactif. Pruvost et Tamura ont aussi offert toute une performance, assez jazz mais néanmoins bien ancrée dans l’expérimentation. Le groupe a joué ensemble auparavant et il faut espérer qu’ils continueront pour un bon moment car ils ont beaucoup à offrir.
Cette édition du FIMAV a offert un bon lot de concerts intéressants. Bien que je ne puisse me prononcer sur l’ensemble du festival, j’ai apprécié l’offre variée du festival et comme toujours, le festival de Victoriaville s’avère avant tout être un leader dans la présentation de concerts d’artistes européens et asiatiques au Canada. Si j’apprécie le virage que Victoriaville fait depuis quelques années en invitant davantage de groupes de rock expérimental et de métal, j’ai cependant été plutôt déçu des performances des grands ensembles de musique improvisée des dernières éditions. De plus, je suis bien déçu d’avoir manqué les années où le festival présentait davantage de harsh noise d’ici et d’ailleurs car les dernières années ont offert plus de musique accessible et mélodieuse. Plusieurs festivaliers dont moi se désolent également de l’absence d’une plus grande offre de musique électronique expérimentale. Il semblerait que cette musique soit moins présente dû à la présence du Mutek. Or le Mutek d’aujourd’hui a largement abandonné la présentation de concerts d’artistes tels que Fennesz ou Nurse With Wound, pour ne nommer que des gros noms. Si j’apprécie grandement de voir les grands noms de la musique expérimentale des dernières décennies, j’ose espérer que les prochaines éditions pourront me sortir davantage de ma zone de confort et m’offrir des concerts plus intenses et bruyants qui confrontent directement le festivalier et ses attentes.
Un de meilleurs festivals sur Terre, à n’en point douter ! Merci à Akio Suzuki, et au journaliste pour la réminiscence Nurse With Wound ! D’ailleurs petit livre conseillé ! http://www.lenkalente.com/product/leon-leauthier-d-andre-salmon-close-to-you-de-nurse-with-wound
Faute 5e paragraphe
« toujours en parfaite équilibre »
parfait 🙂
Merci! 🙂