BloguesChercher noise

Retour sur la 33e édition du FIMAV

Anthony Braxton
Anthony Braxton

Onze concerts en moins de quarante-huit heures! Et je n’ai vu que la moitié du festival! Le Festival International de Musique Actuelle de Victoriaville offre des billets individuels mais tout le monde sait que les die hards ont besoin de la totale. C’était la huitière édition à laquelle j’assistais et ce fut une édition bien mémorable grâce à quelques concerts en particulier. Les dernières années avait une qualité peut-être un peu plus en dents de scie mais cette édition fut plus consistante, pour le plus grand bonheur des festivaliers, bien sûr.

Arrivé en trombe à 13h pile le samedi le 20 mai, j’ai commencé la journée comme tout le monde à l’église Saint-Christophe d’Arthabaska en compagnie du quatuor new-yorkais Battle Trance. Nouveaux chouchous de la scène expérimentale américaine un peu plus “high brow” et distribué pas mal partout par le label NNA Tapes, Battle Trance est un projet mené par le saxophoniste et compositeur Travis Laplante. Battle Trance est un nouvel ajout dans le monde des quatuors de saxophones, joignant des ensembles qui n’ont plus à faire leur nom comme le World Saxophone Quartet, le ROVA ou encore le quatuor québécois Quasar. Choix surprenant, Laplante a choisi d’écrire pour quatre saxophones ténors plutôt que de travailler avec le soprano, l’alto et le baryton comme la plupart des quatuors de sax. Battle Trance a interprété un long morceau continu qui a bien évidemment été marqué par l’acoustique particulière de la gigantesque église, donnant bien de l’écho au quatuor. Ce que le groupe a gagné en volume il a par contre définitivement perdu en clarté. J’ai apprécié les moments où les quatre instrumentistes de Battle Trance se séparaient pour bâtir un mur de son formé de trajectoires distinctes et il n’y a pas à dire, ceux-ci ont couvert bien du terrain en ce qui concerne les techniques étendues pour instruments à anche. Les passages plus mélodieux avaient un petit quelque chose de syrupeux qui m’a moins plu, moi qui a pourtant une place dans mon coeur pour les Gato Barbieri de ce monde. Battle Trance a un attrait indéniable pour les fans de musique expérimentale qui recherchent une beauté et des mélodies, ce qui n’a rien de mal en soi. Mais ses mélodies gagneraient à être plus raffinées.

Le grand ensemble de Nate Wooley réunit pour présenter une version de Seven Storey Mountain regroupait une nouvelle génération d’artistes new-yorkais qui versent autant dans la musique improvisée que dans la musique composée d’avant-garde. En plus de l’octuor de cuivres Tilt, l’ensemble de onze musiciens de Nate Wooley incluait entre autre le violoniste C. Spencer Yeh, les batteurs Ben Hall et Ryan Sawyer ainsi que la “star” du FIMAV 2017, le saxophoniste Colin Stetson. Débutant par une composition réunissant bandes et cuivres de Tilt pour un résultat déroutant et plutôt sombre, l’ensemble de Wooley s’est graduellement installé durant une période d’au moins trente à quarante minutes avant que l’ensemble des dix-neuf musiciens entrent dans une explosion sonore menée par le feedback de trompette amplifiée de Wooley, le shred pas croyable de Yeh et puis les lignes de basse cycliques du saxophone basse et de la clarinette contrebasse de l’ensemble. L’écriture toute en finesse de Wooley aura laissé autant d’espace pour de sublimes arrangements de cuivres que pour de l’improvisation libre enflammée à la Globe Unity. C’est un plaisir de voir l’oeuvre de Nate Wooley se diversifier avec les années et cette première prestation au FIMAV m’a marqué comme l’une des meilleures performances des dernières années.

Nate Wooley Ensemble
Nate Wooley Ensemble

Novi_sad avait la tâche ingrate de suivre le set époustouflant de 15h de Nate Wooley, passant de dix-neuf musiciens à un seul. Les festivaliers n’auront certainement pas pu se plaindre du manque d’intensité du set de Novi_sad, une performance statique de trente minutes consistant surtout de basses fréquences diffusées à volume maximal ainsi que d’un grand nombre de couches de sons se modifiant très lentement avec de brèves interruptions. Difficile de dire s’il s’agissait d’échantillonnages ou de sine waves mais le résultat ressemblait surtout à une masse sonore monolithique amplifiée à un volume qui a rendu l’expérience très physique. Le visuel accompagnant la performance de Novi_sad était plutôt inintéressant mais contrairement à plusieurs festivaliers, j’ai apprécié la proposition radicale quoique un peu redondante de l’électroacousticien grec.

La programmation du FIMAV a souvent tendance à inclure une performance mêlant musiques d’avant-garde et musiques folkloriques traditionnelles d’ici ou d’ailleurs. Je ne suis pas très friand de cette orientation du programme et la performance de la violoniste Gunda Gottschalk et de la joueuse d’accordéon Ute Völker ne m’a pas rendu davantage adepte de ce métissage musical. Accompagnée de trois soeurs chanteuses mongoles qui étaient habillées en costumes traditionnels, Gottschalk et Völker ont enchainé plusieurs courtes pièces aux configurations diverses avec les trois soeurs Samdandamba. Bien qu’étant de superbes improvisatrices, les deux musiciennes allemandes ont peiné à démontrer en quoi le mélange de chants mongoliens et de musique improvisée européenne pouvait donner un résultat concluant. Les soeurs Samdandamba ont beau être reconnues comme des sommités de la musique traditionnelle mongole, je les sentais hors de leur élément jusqu’à un certain point, soupoudrées sur de la musique improvisée sans que le mélange ne prenne vraiment.

Possiblement le concert le plus couru de cette édition du FIMAV était celui qui marquait le retour de l’immortel Terry Riley, une figure de proue de la musique avant-garde américaine. S’étant produit pour la dernière fois à Victoriaville en 1988, Terry Riley était de retour avec son fils Gyan Riley à la guitare. Le compositeur de renom a mené plusieurs pièces accompagné par son fils, évoquant l’ensemble de ce qui constitue la vaste oeuvre de Riley, que ce soit les ragas indiens, le jazz modal, la musique abstraite plus bruitiste ou encore les mélodies répétitives typique du minimalisme américain. Définitivement enjoué, le duo a offert une performance très mélodique et upbeat qui a démontré autant la virtuosité de Gyan à la guitare que le langage particulier du père Riley au piano, au clavier et au sampler. Une bonne partie du set semblait improvisée et je fus surtout attiré par les moments plus répétitifs dans lesquels les deux musiciens entraient dans des mélodies cycliques d’une beauté sans nom. Un moment bien appréciable de musique envoûtante.

Terry Riley & Gyan Riley
Terry Riley & Gyan Riley

La chanteuse et électroacousticienne Maja Osojnik offrait le dernier concert de la journée de samedi avec son sextuor qui incluait deux bassistes, une violoncelliste et chanteuse, un guitariste et un batteur. Le projet All.the.terms.we.are. de Osojnik est un projet de chansons expérimentales qui m’a rappelé par moments une version plus expérimentale de la pop glaciale de Zola Jesus. Les moments où le groupe a mis la pédale dans le tapis avec des sons électroniques plus harsh et une section rythmique bruyante étaient tout simplement exceptionnels. Il faut dire que la voix grave et sensuelle de Osojnik porte très bien les chansons du projet. Avec un peu plus de concerts derrière la cravate, ce groupe pourrait être assez redoutable.

Maja Osojnik
Maja Osojnik

Jean-Luc Guionnet a ouvert la journée de dimanche à l’église Saint-Christophe d’Arthabaska avec une performance solo à l’orgue de l’église. Durant plus de cinquante minutes, le musicien français s’est affairé à explorer tous les racoins de l’orgue, offrant une performance minimaliste ponctuée de certains blocs de sons plus discordants. Guionnet s’est attardé longuement sur les basses de l’orgue avec précision, créant des passages particulièrement intrigants. La durée de la performance en continu m’a paru un peu longue vers la fin et certaines idées auraient pu être explorées davantage mais ce fut toute somme un concert captivant.

Tim Brady, accompagné d’un grand ensemble, présentait deux nouvelles compositions créées spécialement pour le FIMAV. J’admets d’emblée que je m’y suis rendu à reculons, après avoir été plutôt irrité par Atacama présenté en 2013. J’aurais peut-être dû suivre mon instinct et aller me promener au centre-ville parce que ce nouveau passage de Brady m’a paru encore plus pénible que celui d’il y a quatre ans. La première pièce de Brady, Désir, proposait Brady comme soliste, appuyé par un grand ensemble chiffré à seize musiciens dans le programme du festival mais présenté comme un ensemble de dix-huit personnes par le directeur artistique du festival lors du concert. Accompagné par une musique grandiloquente dénuée de toute subtilité, le compositeur a offert une performance chambranlante qui alternait entre clichés rock trop cheesy pour être subversifs et techniques étendues plutôt mal rendues. J’ai eu beau chercher ce qui pouvait m’intéresser dans Désir, je n’y ai vu qu’une interminable composition plus près des excès d’un Yngwie Malmsteen ou d’un Joe Satriani que de quelconque musique actuelle. J’ai quitté avant de devoir entendre la deuxième partie du programme qui a d’ailleurs duré près de quatre-vingt-dix minutes. C’est la beauté du festival de Victoriaville, l’offre est variée et on ne peut pas tout aimer.

Le concert de 17h du dimanche de Rdeca Raketa ramenait Maja Osojnik sur scène accompagnée de son bassiste Matija Schellander, cette fois à l’ordinateur et au synthé. Se concentrant sur son matériel électronique plutôt que sur son chant, Osojnik a offert une performance époustouflante de musique électroacoustique bruyante mais toute en finesse. Si Schellander semblait davantage trafiquer des bandes, Osojnik était plus occupée par la création live et j’ai été épaté par la chimie du duo qui ont créé une seule longue pièce pleine de virements soudains et de longs développements bien beaux. Espérons que Osojnik reviendra en Amérique du Nord dans les années à venir car ses deux performances au FIMAV laisse entrevoir un énorme talent.

Est-ce que c’est possible de se tanner de Nels Cline? Je ne pense pas. Après des passages remarqués en duo avec Norton Wisdom et avec son Nels Cline Singers Unlimited, le grand blond était de retour à Victoriaville avec un tout nouveau quatuor de jazz qui inclut Julian Lage à la guitare, Tom Rainey à la batterie et le contrebassiste Scott Colley. Leur premier concert avait eu lieu la veille et ils semblaient en pleine possession de leurs moyens pour ce deuxième concert qui a surtout servi de véhicule pour les nouvelles compositions plus jazz de Cline ainsi que pour quelques interprétations de compositions de Paul Motian et Carla Bley. J’avais peur que Cline se soit assagi mais c’était loin d’être le cas. Si le volume était un peu plus bas, la créativité sans borne de Cline, ses lignes mélodiques finement déconstruites et son flair incomparable pour l’improvisation ont épaté la salle qui mangeait allègrement dans sa main. Julian Lage m’avait laissé indifférent lors de son duo avec Gyan Riley l’an dernier mais il fut tout simplement époustouflant avec le Nels Cline Four. Cline l’a d’ailleurs laissé prendre beaucoup de place. Difficile de décrire correctement toute la virtuosité, l’énergie et la créativité qu’a démontré la section rythmique de Colley et Rainey. Sauf pour la chimie entre Joey Baron et Greg Cohen ou celle de Hamid Drake et William Parker, j’ai difficilement vu mieux et ceux-ci ont alimenté Cline et Lage tout au long de la performance de quatre-vingt-dix minutes. J’en aurais pris une autre heure!

Nels Cline Four
Nels Cline Four

Qui aurait cru qu’Anthony Braxton allait encore offrir des performances solo au saxophone près de cinquante ans après l’enregistrement du légendaire album For Alto? Braxton est un des pionniers de la performance solo au saxophone et son oeuvre solo à elle seule aurait pu faire de lui l’un des piliers du jazz avant-garde, bien qu’il se soit évidemment démarqué par la suite grâce à son travail en petit et en grand ensemble. Cinq décennies plus tard, le saxophoniste américain continue toujours d’explorer les moindres racoins du saxophone, lui qui a bien évidemment été suivi avec brio par de grand instrumentistes tels que Steve Lacy, Evan Parker, Kaoru Abe, John Zorn et plus récemment Colin Stetson. Au cours de sa performance de plus de soixante-dix minutes, Braxton a exploré le bop qui l’a influencé dès ses débuts, empruntant des sonorités associées à Warne Marsh et même à Paul Desmond. Les fans du travail plus out de Braxton n’ont pas été déçus car celui-ci a tout donné lors de morceaux plus hyperactifs aux mélodies complexes qui rappelaient son matériel de l’époque Arista. Alors que la presse musicale devient de plus en plus paresseuse et attribue même parfois erronément l’invention de la respiration circulaire à Colin Stetson (!), Braxton a rappelé l’importance de son travail en solo des années 60 avec deux morceaux particulièrement tonitruants avec vocalises gutturales et de longues envolées de respiration circulation complètement épatantes. La performance de dimanche du compositeur et saxophoniste américain fut un rappel parfait de tout ce que celui-ci a accompli au cours de son illustre carrière et puis nous sommes retournés à la maison en se disant que le septuagénaire aura encore le temps de nous surprendre et de nous émerveiller avec son langage oh combien unique et inimitable.