Pour ceux qui ne le savent pas, j’adore tout ce qui est victorien. En écrivant celà, j’ai l’impression d’avouer un péché, quelque chose de contre nature. Être Québécois et aimer le victorien, ce n’est pas pire qu’être Québécois et aimer le sushi, n’est-ce pas ? Bien sûr, je n’ai pas eu à subir l’odeur du 19e siècle mais je vous dirais qu’il y a des odeurs du Whitechapel d’aujourd’hui qui valent bien celles des contemporains de Victoria.
Le jour, tout près de la station Whitechapel du Tube, il y a de nombreux marchands sous des tentes dressées sur les trottoirs. Il y a de tout à vendre : DVD de films du Moyen-Orient, bijoux, articles de décoration, cartes d’appel, foulards islamiques, t-shirts « I love Obama » et « Yes we can ». On y parle principalement arabe et le dépaysement est total.
Avec quelques collègues artistes, je suis allé faire la visite pédestre guidée de Jack l’Éventreur, nom donné à ce tueur en série qui a terrorisé le East End de Londres entre le 31 août et le 9 novembre 1888. Il faut dire que je m’étais préparé en lisant sur le sujet. J’ai donc pu apprécier davantage les explications. Le guide semblait prendre un malin plaisir à décrire les mutilations subies par les prostituées assassinées tout en étant très doux et attentionné envers une femme enceinte qui faisait partie du groupe.
J’appréhendais tomber sur un spectacle de mauvais goût pour touristes ce qui ne fût pas le cas. Pendant les 90 minutes qu’a duré la visite, c’est avec respect que notre guide a parlé des femmes assassinées ; il a décrit avec précision les conditions de vie médiocres dans le East End de Londres en 1888. Ces descriptions (pauvreté, immigration, logement, violence sexuelle, institutions) sont nécessaires à la compréhension de ce qui entoure les meurtres. Par exemple, certaines personnes, désespérées par leurs conditions de vie et qui voulaient simplement un toit au-dessus de leur tête, puis manger le lendemain matin, se disaient être Jack l’Éventreur, risquant ainsi la potence. Le tueur, très intelligent et connaissant bien les lieux, jouait littéralement avec les juridictions de la police métropolitaine et de la police de Londres. Par exemple, une de ses victimes a été tuée dans Westminster, mais le tueur a transporté certaines parties du corps à Londres.
Les noms de ces femmes assassinées, qui se prostituaient pour survivre, sont Mary Ann Nichols, Annie Chapman, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes et Mary Jane Kelly. Le pub où elles se réunissaient, The Ten Bells, est toujours là, juste à côté de l’église Christ Church de Spitalfields. Il est fréquenté par une clientèle underground. Ce que je trouve génial c’est que ça n’a pas été disneyisé. Des murs magnifiques en céramique peinte et des extraits de journaux placardés à l’intérieur du pub témoignent de cette période trouble de l’histoire de Londres.
Dans ce quartier, on sent la superposition des couches migratoires ce qui est une véritable richesse. Autant le quartier est, de nos jours, musulman, autant il a été huguenot, puis juif.
Enfin, le parcours a été l’occasion de voir que l’architecture victorienne est présentement en voie de destruction dans ce secteur et laisse de plus en plus la place à des immeubles modernes au goût parfois douteux. J’imagine que dans dix ou vingt ans, les gens qui feront la visite guidée pédestre de Jack l’Éventreur se retrouveront entre une tour à bureau et un stationnement, un peu comme au centre-ville de Gatineau.
Photos : le pub The Ten Bells, les fameux extraits de journaux de l’époque et notre groupe à l’intérieur du pub composé de Marianne Engel, moi, Luis Pereira, Bruno Ramos et Isabelle, une Parisienne établie à Londres (la photo a été prise par Margarida Gouveia).