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Nouvelles réalités


Peter Zadek
Photo: Roswitha Hecke
 

Les rumeurs vont bon train en ce qui concerne les raisons qui ont incité l'Allemand Peter Zadek à refuser de se rendre à Thessalonique pour recevoir son prix. Certains parlent d'un surplus de travail occasionné par le remplacement imprévu d'un acteur dans le spectacle que le metteur en scène répète actuellement. D'autres disent que l'octogénaire aurait peur de prendre l'avion, qu'il ne l'aurait même jamais pris. Quoi qu'il en soit, tout porte à croire que Robert Lepage sera le seul récipiendaire du 11e prix Europe. On ne va surtout pas s'en plaindre puisque les activités concernant le directeur d'Ex Machina sont maintenant réparties sur deux jours.

 
Robert Lepage
Photo: Sophie Grenier

Depuis 1986, le Prix Europe a été attribué à Ariane Mnouchkine, Peter Brook, Giorgio Strehler, Heiner Müller, Robert Wilson, Luca Ronconi, Pina Bausch, Lev Dodin, Michel Piccoli et Harold Pinter. Robert Lepage est donc le deuxième Nord-Américain à recevoir le prix. Cela dit, le créateur québécois est le premier lauréat dont la base de travail n'est pas située en Europe. À Thessalonique, ces jours-ci, on se plait à dire que Lepage est le plus européen des metteurs en scène canadiens.


Alvis Hermanis
Photo: Epaminontas Stiliandis
 

La journée d'hier était entièrement consacrée aux deux récipiendaires du 9e prix Nouvelles Réalités Théâtrales: le Letton Alvis Hermanis et la Serbe Biljana Srbljanovic. En matinée, une rencontre était organisée sur le parcours d'Hermanis, directeur du Nouveau Théâtre de Riga. Au cours des 10 dernières années, l'homme a profondément renouvelé la pratique théâtrale de son pays, la Lettonie, un état de l'ex-URSS membre de l'Union européenne depuis 2004. Dans les discussions menées par l'Allemande Brigitte Fürle, le mot «outsider» a été prononcé à plusieurs reprises. C'est que le metteur en scène a fait table rase du théâtre politique, narratif et illustratif en vogue dans son pays. Hommages aux souvenirs et à la mémoire, ses spectacles s'immiscent dans l'espace privé, scrutent la vie intime et quotidienne des personnages. Cette vie est selon lui beaucoup plus révélatrice, beaucoup plus intéressante que ces rôles que l'on joue en public ou encore que ces situations extrêmes ou le théâtre contemporain a l'habitude de placer ses personnages.

Dans Long Life et Fathers, les deux spectacles qu'il présente à Thessalonique, le metteur en scène s'intéresse aux personnes âgées, plus précisément à la manière dont les changements socio-politiques récents bouleversent leurs vies. L'homme est d'une grande lucidité, sa démarche est clairement balisée et ses objectifs sont clairs. Quel bonheur d'entendre un artiste à ce point conscient des raisons pour lesquelles il fait ce métier! Après avoir commenté quelques séquences vidéos des répétitions de son prochain spectacle, The Sound of Silence, une création inspirée des chansons de Simon and Garfunkel, le metteur en scène a lancé cet inspirant appel : « Le théâtre doit rendre les gens plus émotifs. Il faut rire et pleurer! Ce sera bientôt le seul argument permettant d'entraîner les spectateurs hors de chez eux. »

 
Biljana Srbljanovic

L'après-midi était consacré à la dramaturge serbe Biljana Srbljanovic. André Wilms, comédien français, et Nikitas Tsakiroglou, comédien et directeur artistique grec, ont d'abord lu des extraits de pièces. Puis, Ivan Medenica, critique de théâtre serbe, a supervisé une rencontre avec quelques spécialistes. Les discussions ont largement fait valoir le caractère à la fois local et universel du théâtre de Srbljanovic. En effet, traduites dans une vingtaine de langues, les pièces «sociologiques» de Biljana Srbljanovic, drôles et désespérées à la fois, abordant avec tranchant les questions de l'exil et de l'illusion occidentale, semblent toucher les spectateurs des quatre coins de la planète. Au Québec, Theodor Cristian Popescu a mis en scène Histoires de famille, le texte le plus connu de l'auteure (soixante-dix versions dans le monde) et le Serbe Dragan Milinkovic a dirigé des acteurs québécois dans Amerika, suite, une production du Groupe de la Veillée.


André Wilms
Photo: Epaminontas Stiliandis
 

Après la discussion, Ivan Medenica s'est entretenu durant une bonne heure avec la dramaturge. S'exprimant dans un excellent français – elle habite Paris depuis un peu plus de trois ans -, Biljana Srbljanovic est vive, drôle et spontanée. Politiquement et socialement engagée, elle est néanmoins pétrie de doutes, tiraillée par ses propres contradictions. Au cours de l'entrevue, elle est allée jusqu'à avouer qu'écrire du théâtre était une épreuve. Chaque fois, elle se promet qu'elle ne s'imposera plus cette souffrance. Heureusement pour nous, elle n'a pas encore baissé les bras. Elle travaille en ce moment à une pièce intitulée Barbelo, un texte sur l'injustice sociale dont André Wilms nous a lu, en primeur, les douze premières pages.