Avec Don Giovanni, René Richard Cyr procède à une deuxième incursion du côté de l'opéra, mais une première au sein de la programmation régulière de l'Opéra de Montréal (où l'opéra de Mozart, précisons-le, n'avait pas été présenté depuis 1995). Le spectacle qui en résulte est plus que concluant.
P. Beaudin, L. Fortin et A. St.Clair Nicholson |
De manière générale, on ne peut que se réjouir de voir les metteurs en scène de théâtre lorgner de plus en plus souvent du côté de l'opéra. Comme Robert Lepage, Serge Denoncourt, Marc Béland et quelques autres, René Richard Cyr s'intéresse depuis peu à l'art lyrique, prouvant par le fait même que l'opéra est d'abord et avant tout un théâtre musical.
Tout d'abord, il faut dire que le Don Giovanni présenté actuellement entre les murs de la Salle Wilfrid-Pelletier s'appuie sur une remarquable sobriété. Remarquable parce que les productions de l'Opéra de Montréal ne sont généralement pas aussi dépouillées. La scénographie de Pierre-Étienne Locas est simple, belle et fonctionnelle. L'espace, en perpétuelle transformation, fait beaucoup penser à l'univers de Dickens. Les vêtements, comme les lieux, évoquent la riche mafia italienne aussi bien que les bas-fonds de Londres.
Étrangement, cette improbable rencontre (entre l'Angleterre victorienne, l'Espagne du 18e siècle et une certaine Italie) s'avère tout à fait concluante. La lecture de Cyr, pleine de savoureux clins d'oeil, instaure une irrésistible complicité entre la salle et le héros. Joyeux amalgame d'Elvis Presley et Al Capone, le Don Giovanni de Aaron St. Clair Nicholson est d'un charme ravageur. Jamais loin, ses sbires, motards et machos haut de gamme, ont toujours un couteau étincelant au poing. On pense inévitablement aux gangs rivales de West Side Story.
La plupart des interprètes de Don Giovanni |
Dans les habits inconfortables de Leporello, yo-yo à la main, Neal Davies est truculent, drôle et pathétique, mais jamais bouffon ou caricatural. Entre le maitre et le valet, il me semble qu'il y a moins d'écart, du moins socialement, que chez Molière. Les autres rôles me semblent également plus étoffés. Les histoires d'amour d'Anna et Ottavio, de Masetto et Zerlina, me semblent beaucoup plus complexes (dans le bon sens du terme). Contradictoires, bons et vils à la fois, les personnages m'ont semblé plus humains que chez Molière, moins archétypaux. Après tout, Don Giovanni n'a pas le monopole de la méchanceté. Les autres aussi ont une part d'ombre. Ainsi, quand Don Giovanni descend aux enfers (la scène est d'ailleurs très réussie, elle donne des frissons dans le dos), je suis persuadé qu'il emmène avec lui une partie du coeur de ses victimes souvent bien consentantes
Toutes les voix sont belles! En Elvira, Lyne Fortin est divine, racée. Certains airs sont si beaux et interprétés avec tant de conviction qu'il m'est arrivé de cesser quelques instants de respirer. Le chant de Susan Gritton, qui interprète Anna, est fort émouvant et il me semble d'une grande précision technique. En Zerlina, Pascale Beaudin (que j'avais remarquée dans les productions de l'Atelier lyrique) est expressive, délicieusement rusée. On ne se lasse jamais de l'entendre. Le timbre de John Tessier, le ténor qui incarne Ottavio, est ravissant, très particulier.
Il faut bien admettre que cette soirée en compagnie de Don Giovanni est l'une des plus belles que j'ai passé à l'Opéra de Montréal. Ne reste qu'à souhaiter que René Richard Cyr revienne le plus souvent possible à l'opéra. La compagnie, le genre et ses aficionados, tout le monde y gagnerait.