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Robert Lepage, auteur de théâtre


Robert Lepage
 

En Grèce, il y a quelques mois, alors qu'on lui remettait le prix Europe pour le théâtre, Robert Lepage déclarait assumer de mieux en mieux le titre d'auteur. Il faut savoir que pendant de nombreuses années le créateur d'images a considéré ses textes comme des partitions indissociables de la scène, des mots ne trouvant leur sens qu'au sein de la représentation. Maintenant réconcilié avec cette part de lui-même, Lepage publiait en juin dernier, aux éditions L'Instant même, les textes de ses deux derniers solos: La Face cachée de la lune et Le Projet Andersen. Comment ne pas se réjouir d'une telle initiative? Outre La Trilogie des dragons, écrit en collectif et paru, en 2005, à L'Instant même, aucun des textes de Lepage n'avait jusqu'ici fait l'objet d'une publication. La parution de deux d'entre eux, en plus d'être une excellente nouvelle, démontre que les pièces valent, à elles seules, leur pesant d'or.

«Le spectacle de ce soir s'inspire en quelque sorte de la compétition entre ces deux peuples pour raconter celle de deux frères cherchant continuellement dans le regard de l'autre un miroir pour y contempler leurs propres blessures, ainsi que leur propre vanité.» (La Face cachée de la lune, p. 15)

 
La Face cachée de la lune

Dans La Face cachée de la lune, un solo créé en 2000 et transposé au cinéma en 2003, Robert Lepage établit un parallèle entre la lutte que se livrent les Russes et les États-Uniens pour la conquête de l'espace et celle qui oppose Philippe et André, deux frères on ne peut plus différents, dans les jours qui suivent la mort de leur mère. Si André incarne la réussite sociale absolue et Philippe, une utopie intellectuelle détachée du monde matériel, les deux frères parviennent à transcender leurs différences. Le livre est ponctué par des illustrations tirées du spectacle original, de sa reprise sur scène dans l'interprétation d'Yves Jacques, de même que du film. On trouve également des croquis réalisés par Lepage. Malheureusement, l'impression ne rend pas justice aux photos.

 

Mais ce n'est pas très grave puisque ce sont les mots qui nous intéressent ici. Par exemple: «Je me souviens que c'est à ce moment précis que j'ai pris conscience que j'étais fait de la même matière que les étoiles que je pouvais voir briller dans la nuit, que chaque atome de mon corps faisait partie d'un système pas mal plus complexe et pas mal plus vaste. Comme si j'avais un rôle à jouer dans l'univers, comme si j'étais moi-même une petite idée à l'intérieur d'un immense cerveau.» (La Face cachée de la lune, p. 61) En refermant le livre, on se prend à souhaiter, comme André Brassard dans la préface, «que ce texte circule et qu'un jour, un autre fou souhaite le remonter à sa façon, juste à partir des mots».

«La morale? Je ne sais pas. J'imagine qu'Andersen tente de nous dire qu'il y a, en chacun de nous, une part d'ombre et que, si nous la laissons nous dominer, elle finit par nous détruire.» (Le Projet Andersen, p. 69)

 
Le Projet Andersen

Dans Le Projet Andersen, un solo créé en 2005, Frédéric Lapointe, le héros, débarque dans la Ville Lumière, un univers de contrastes, de labyrinthes absurdes et de bureaucratie internationale déshumanisée. Il vit au-dessus d'un peep-show, prend soin d'une chienne dépressive, tente d'entretenir une relation amoureuse par delà l'océan, tout ça en écrivant le livret d'un opéra qui n'intéresse finalement personne. Avec ce solo, une commande de la Fondation H. C. Andersen, Robert Lepage explore les territoires troubles de l'identité sexuelle, des fantasmes inassouvis et de la soif de reconnaissance, des thèmes récurrents dans son oeuvre mais aussi dans le destin et les contes d'Andersen.

 

Le livre, de bien plus belle facture que le précédent, est accompagné d'un DVD sur la création du spectacle. Lepage explique le fonctionnement de certains dispositifs, dévoile les coulisses en pleine action (grâce à une caméra infrarouge), présente quelques scènes rejetées et élabore sur les nécessaires adaptations du spectacle en langues étrangères. C'est intéressant, mais trop court, on en voudrait beaucoup plus. Lars Seeberg, secrétaire général de la Fondation H. C. Andersen en 2005, signe la préface.