Une superbe soirée hier à la Cinquième Salle de la Place des Arts pour les amateurs de danse contemporaine rigoureusement ludique et follement intelligente. Dans Basso Ostinato, une création de la chorégraphe italienne maintenant basée en France Caterina Sagna, trois danseurs sont emportés dans une réjouissante spirale, une suite de variations sur le même thème où les mots et les mouvements se désarticulent sans cesse davantage.
Sur scène, Alessandro Bernardeschi, Antonio Montanile et Mauro Paccagnella lancent quelques banalités sur les aléas du métier de danseur. Peu à peu, leurs gestes et leurs répliques se décomposent, les séquences de mouvements se morcèlent, se dilatent ou se densifient, se font brillamment écho. Ce qui traverse le spectacle, c'est l'idée de digestion. Des verres de digestifs multicolores qu'on ingurgite en série jusqu'à l'anecdote récurrente d'un danseur qui s'est «chié dessus» lors d'une répétition qu'il n'osait quitter, en passant par cette mémorable scène ou les trois comparses expulsent violemment ce qu'ils ont bu et mangé (deux spectateurs en ont quitté la salle), le concept de digestion est la véritable colonne vertébrale de la représentation.
À voir les danseurs se tordre, se morde, se traîner au sol comme des phoques rampant sur une banquise, on finit par avoir le sentiment, comme l'expliquait la chorégraphe dans l'éclairante entrevue qu'elle accordait à ma collègue Fabienne Cabado la semaine dernière, que les trois hommes sont eux-mêmes en train d'être digérés sous nos yeux par quelque chose comme le grand estomac du monde. La métaphore ne parlera peut-être pas à tous les spectateurs, mais pour ceux qui sauront s'y abandonner, la soirée risque bien d'être une fête pour les yeux et l'esprit.
À la Cinquième Salle de la PdA, jusqu'au 4 octobre.
Photo Caroline Ablain