Au cours des deux derniers jours, le Festival m'a permis d'entrer en contact avec de nouvelles démarches créatrices, en plus de renouer avec des voix familières. J'ai d'abord assisté à Photo-Romance. Les Libanais Lina Saneh et Rabih Mroué, que je découvrais, parlent société et politique tout en interrogeant les codes du cinéma et de la représentation théâtrale. Une cinéaste expose son projet de film à un censeur chargé de faire régner l'originalité et la légalité. Le projet est en fait un remake, un photo-roman (suite d'images fixes sur grand écran) inspiré d'Une journée particulière, célèbre long-métrage d'Ettore Scola avec Sophia Loren et Marcello Mastroianni. L'intrigue est transposée à Beyrouth, en 2006, peu de temps après l'attaque israélienne. Le dialogue entre l'artiste et le fonctionnaire est savoureux, plein d'ironie, mais la représentation devient vite didactique et redondante.
Ensuite, je suis entré dans l'univers de l'auteur et metteur en scène français Hubert Colas. Le livre d'or de Jan est un spectacle qui multiplie les tons, les registres et les médias pour exprimer le deuil, la perte, le vide laissé par la disparition d'un homme, d'un artiste. Durant deux heures, ceux qui l'ont aimé viennent témoigner en images, en mots, en musique, en actions, je serais tenté de dire en performances. Ils inscrivent leurs souvenirs dans le livre d'or de Jan. C'est un hommage à l'art, à son pouvoir salvateur, un hommage aussi à l'artiste hollandais Bas Jan Ader, perdu en mer en 1975. Un vrai beau moment de théâtre. Drôle et grave, comme la vie et la mort.
J'ai ensuite revu le C.H.S. de notre Christian Lapointe. Dans la Chapelle des Pénitents blancs, le rapport scène-salle n'était pas aussi «confrontant» qu'il l'était à la Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d'Aujourd'hui, mais la méditation de Lapointe sur la polysémie du feu n'a rien perdu de sa force de frappe. Certains aspects de la représentation – sciemment agressants – n'ont pas semblé laisser les spectateurs français de glace. Je pense qu'ici comme au Québec, C.H.S. va diviser.
Puis finalement, hier soir, j'ai vécu une autre inoubliable incursion dans l'univers incomparable de Claude Régy. Avec Ode maritime, un poème de Fernando Pessoa, un hommage à la mer qui n'est rien d'autre que la formidable et courageuse introspection d'un homme trop humain, le metteur en scène français de 86 ans a fabriqué une merveille. Précision. Lenteur. Rigueur. Tout cela inspire de la fascination, du vertige. Au bout d'un quai, pour ainsi dire immobile, suspendu entre ciel et mer par des éclairages qui sont une œuvre d'art en soi, le comédien Jean-Quentin Chatelain, qui faisait parti de la distribution d'Homme sans but, présenté en février 2008 à l'Usine C, est plus qu'impressionnant. Au bout de voyage, qui dure deux heures, on est à la fois exténué et énergisé. Cette présence de Régy au Festival d'Avignon – il n'y est pas venu depuis de nombreuses années – est un incontournable. Ne reste qu'à souhaiter que le spectacle passe par l'Usine C dans les mois qui viennent.
Photo Le livre d'or de Jan