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Festival d’Avignon : Warlikowski et les horreurs millénaires de notre monde

Ces jours-ci, Krzysztof Warlikowski fait son entrée dans la cour d'honneur du Palais des papes. Le metteur en scène polonais, que les spectateurs du FTA ont découvert avec Purifiés, de Sarah Kane, et ceux du Théâtre français du CNA avec Krum, de Hanock Levin, offre cette fois (A)pollonia, un collage de textes, une juxtaposition de mythes, une succession plutôt inégale d'images, de figures et de récits. Les images, qui naissent souvent entre les parois de vastes cubes de verre, sont plusieurs fois percutantes. Les figures sont tragiques, mythologiques, mais aussi profondément humaines; des individus capables du pire et du meilleur. Les récits sont nombreux, peut-être trop nombreux, voire redondants, mais ils ont le mérite de croiser les tons et les époques, de multiplier les éclairages sur une violence millénaire.

Créé à Varsovie le 16 mai dernier, (A)pollonia est une réflexion sur les pages les plus noires du 20e siècle, celles de la Seconde Guerre mondiale. Au menu: viols, meurtres, exterminations et sacrifices. À coup de musique, de chansons, de projections vidéo en direct, le spectacle s'attaque aux dérives du pouvoir, qu'il soit politique, médiatique ou autre. Si le spectacle de Warlikowski partage des thèmes avec la trilogie de Mouawad, présentée au même endroit quelques jours plus tôt, il fait surtout office de contrepoint. Alors que Littoral, Incendies et Forêts sont des spectacles fondés sur le récit, (A)pollonia est une suite de bribes, un assemblage de fragments, quatre heures et demie de théâtre sans une seule histoire fondamentale, fédératrice. Ainsi, notre intérêt fluctue. La représentation fascine, puis déconcerte, bouleverse, puis ennuie.

Pour aborder l'holocauste, les camps de la mort, mais surtout l'immense culpabilité que ces événements ont laissée (ou devraient avoir laissée) dans l'âme des citoyens du monde, Warlikowski cite l'Indien Rabindranath Tagore, les Grecs Eschyle et Euripide, l'États-Unien Jonathan Littell, la Polonaise Hanna Krall et le Sud-Africain J. M. Coetzee. Sans pathos, sans faire la morale, le metteur en scène plonge avec ses extraordinaires comédiens dans les abimes de l'âme humaine. Suprenamment, le résultat n'est pas dénué d'espoir. On sent, principalement dans les intermèdes musicaux – menés avec conviction par l'auteure-compositrice-interprète Renate Jett – un appel à la révolution, à la fraternité, à l'amour et à la guérison. C'est sur cette note que la soirée se termine. Il y a donc possibilité de résurrection, à nous de la saisir.

Photos Christophe Raynaud de Lage