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Festival d’Avignon : Wajdi Mouawad remue Ciels et Terre

Ça s'est passé hier soir. Dans un hangar situé à Châteaublanc, non loin d'Avignon. En première mondiale, Wajdi Mouawad dévoilait Ciels, un spectacle très attendu. Après Littoral, Incendies et Forêts, l'auteur et metteur en scène referme avec superbe ce cycle que l'on peut d'ores et déjà considérer comme son magnum opus: Le Sang des promesses.

Ciels, c'est à la fois une œuvre emblématique de la démarche de Mouawad et un renouvellement. C'est-à-dire qu'il est encore une fois question de guerre, d'exil, de filiation, de mort et de naissance, mais il y a dans la forme et la densité de cet ouvrage la preuve irréfutable que le créateur s'est engagé sur une voie nouvelle. Ce changement, c'est celui que Seuls annonçait. Ainsi, la peinture joue un rôle crucial dans Ciels, elle cristallise la grandeur et la décadence du genre humain, elle recèle, ni plus ni moins, les origines et le destin de l'humanité.

Si les trois premiers volets du quatuor mettaient en scène des personnages engagés corps et âmes dans la quête de leurs complexes origines – Wilfrid, Jeanne, Simon et Loup -, le dernier chapitre déploie une quête (pour ne pas dire une enquête) qui a des ramifications bien plus vastes. Les cinq espions de Ciels s'affairent à décoder les conversations téléphoniques. Leur objectif: prévenir un attentat terroriste d'une ampleur inégalée. Leurs éléments de preuve: des phrases absconses et un tableau de Tintoret. Chaque minute compte. Vous me direz que tout cela évoque fortement Da Vinci Code. C'est vrai, mais ce n'est pas gênant. Pas gênant parce que le spectacle entrelace d'une manière bouleversante cette mission plus grande que nature à la vie personnelle des protagonistes, transcende largement l'aspect suspense, tout en sachant en tirer profit.

Grâce à un dispositif scénique particulièrement efficace, la scène et la salle ne font qu'un. Rivé sur son tabouret, le spectateur est littéralement captivé, captif. Les sons et les images entourent, englobent. Impossible de se soustraire à la fascination qu'exerce cette boite, ce bunker de fureur et de beauté. La poésie de Mouawad est plus souveraine que jamais et le jeu de Stanislas Nordey, dans la peau du plus incandescent des espions, fascine, emporte, happe. Quelques bémols tout de même: le jeu encore disparate de certains comédiens, deux ou trois scories techniques et l'invraisemblance de certains accessoires. Somme toute, des détails.

Je le dis sans ambages: je suis sorti de la salle sous le choc. J'étais en larmes, mais le sourire aux lèvres. J'étais bouleversé par les décès et les naissances, la beauté et l'horreur, les cris de révolte et ceux de la création, parfois si semblables.

 Photo Jean-Louis Fernandez