L’exercice est original. De s’y prêter est peut-être plus périlleux que je le pensais. La représentation vient de se terminer. Je dois trouver la concentration dans la foule. On m’interpelle. La réaction des spectateurs à la première partie du doublé, Pagliacci, de Leoncavallo, est très perceptiblement favorable. Les applaudissements ont été nourris. Il faut dire que la mise en scène d’Alain Gauthier est tout à fait réussie. Dans cette histoire d’amour et de jalousie, le vrai et le faux s’entremêlent, la vie et le théâtre s’entrelacent de manière comique, mais aussi tragique. Nedda a maille à partir avec trois hommes : Canio, son mari, Tonio, qui lui déclare son amour avec insistance, pour ne pas dire violence (un comportement bien humain qui teinte la mise en scène plus souvent que d’ordinaire à l’Opéra de Montréal), et Silvio, son amant, qu’elle aime de tout son cœur. Vous avez là tous les ingrédients pour que la tragédie naisse. Si la drôlerie est aussi au menu, c’est que Nedda, Canio et Tonio sont les comédiens d’un théâtre ambulant spécialisé dans la commedia dell’arte. Quand les villageois sont tous rassemblés pour assister au spectacle, la comédie se teinte de gravité, mais surtout de vérité. C’est que les amants ne jouent plus, ou alors ils jouent leur propre vie. La scène de ménage n’aura jamais si bien porté son nom. La pièce révèle le drame des amoureux, comme La Souricière au cœur du Hamlet de Shakespeare. Nous sommes en présence d’un très beau cas de mise en abyme, c’est-à-dire de théâtre dans le théâtre. Les voix de Marie-Josée Lord et Marc Hervieux ne sont plus à vanter. Celles de Grégory Dhal, Étienne Dupuis et Pascal Charbonneau sont tout aussi belles et puissantes. Le décor d’Olivier Landreville est une pure splendeur. Scénographe de théâtre, Landreville trouve ici tous les moyens dont il a besoin pour déployer son imaginaire. Le temps qui m’était imparti pour écrire tire à sa fin. La suite dans le journal de jeudi…
Photo Frédéric Lago