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Quand le théâtre québécois donne une voix aux exclus

Depuis Michel Tremblay, qui a donné une tribune exceptionnelle au milieu ouvrier du Plateau Mont-Royal des années 50, il est assez peu de dramaturges québécois qui ont osé donner la parole à ceux que l'on appelle les petites gens. Vous savez, ces exclus, ces hommes et ces femmes pour qui chaque jour est une lutte? Ils ont de faibles revenus, peu ou pas de scolarité, habitent des appartements plus ou moins salubres dans Saint-Henri, Saint-Michel ou Hochelaga-Maisonneuve. Vous vous rappeliez leur existence?

Alors que leur sort est préoccupant, que leurs parcours sont jonchés d'obstacles à surmonter, d'abimes et de rédemptions, on ne les voit pas, on ne les entend pas. Que la télévision ou le cinéma leur tourne le dos, du moins en ce qui concerne la fiction, ce n'est pas si surprenant. Mais que le théâtre, censé tenir une rôle-clé dans notre compréhension de la Cité dans laquelle nous vivons, ne se penchent pas ou bien peu sur le sort des dépossédés est inadmissible.

Si on prend l'exemple de l'automne dernier, on trouve quelques auteurs de théâtre québécois pour renverser la vapeur, regarder le monde par une autre lorgnette que celle des nantis, camper leurs histoires ailleurs que dans des milieux plus ou moins bourgeois: Simon Boudreault avec Sauce brune, Louis-Dominique Lavigne avec sa portion de Profils atypiques et Myriam De Verger avec Lost Baby. À cette courte liste, on peut maintenant ajouter Sébastien David, diplômé de l'École nationale de théâtre en 2006, auteur et metteur en scène d'En attendant Gaudreault et Ta Yeule Kathleen, deux courtes pièces à l'affiche de la Salle Jean-Claude Germain du Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 29 janvier.

Avec ses complices, les comédiens Frédéric Côté et Marie-Hélène Gosselin, David a donné naissance à des personnages qu'on n'a tout simplement pas le choix d'écouter. Parce que leur détresse sonne vrai, qu'elle nous frappe en plein cœur, nous rappelle que la ville est un enchevêtrement d'espoirs trop souvent déçus. Il y a William le junkie, Monique l'amoureuse enfermée, Dédé le petit de la construction et Lynn la monoparentale.

Ce sont, comme le dit David, de pauvres gens à la bouche cariée. Leur langue, vulgaire, urgente, court à l'essentiel. Mais leurs cris se répondent, leurs destins se croisent, habilement. Parce que l'auteur a non seulement eu le courage de faire parler les petites gens, de donner une voix à ceux qui n'en ont pas, il a tenu à leur donner une langue de théâtre, à entrelacer sur scène leurs errances comme seule la vie saurait le faire. Entendre les personnages de Sébastien David lancer haut et fort, «Fuck You Gaudreault!» procure un vif bonheur, une satisfaction que je vous souhaite. Billetterie: 514 282-3900. Photo Jérémie Battaglia.