Gardenia / FTA 2011 / Le paradis peut attendre
Combien de créateurs ont affirmé que leur art était une tentative d'exprimer l'humanité? La formule est jolie en même temps qu'éculée, fondatrice tout en étant un peu creuse. Comment restituer l'humanité sur scène? Comment cristalliser, traduire, saisir au théâtre ce qui est propre au genre humain? Cette belle utopie, ce n'est pas d'hier qu'Alain Platel la poursuit. Pour le metteur en scène et chorégraphe belge flamand, à la tête des Ballets C de la B depuis 1984, rendre compte des espoirs inhérents à la race humaine, avec tendresse et fureur, est un véritable moteur de création. Et il faut admettre que les résultats sont plus que concluants.
Iets op Bach et Allemaal Indiaan, que le FTA nous a fait découvrir en 1999 et 2001, étaient de véritables tourbillons, des tableaux vivants, des fresques bigarrés qui réunissaient les forts et les faibles, les créatures qui s'effacent et celles qui brillent de mille feux, un mélange unique de danse et de théâtre, de classicisme et de modernité, de sophistication et de culture populaire. C'est tout à fait dans cet esprit que Platel a créé Gardenia avec Frank Van Laecke à partir d'une idée de Vanessa Van Durme, cette comédienne transsexuelle qui nous a bouleversé dans Regarde maman, je danse, un solo autobiographique présenté à La Chapelle en 2008.
Sur un plateau très incliné évoluent sept travestis et transsexuels vieillissants, des individus déconfits par la fermeture de ce cabaret qui a donné un sens à leur vie pendant de nombreuses années. À leurs côtés, on trouve aussi un jeune homme et une «vraie» femme. Les plus âgés sont en marge des classifications binaires, ce sont de glorieuses légendes, des créatures de rêves, des figures mythiques, des êtres plus grands que nature, des fleurs qui, bien que flétries, ne demandent qu'à éclore, qu'à déployer une dernière fois leurs pétales multicolores. Et c'est précisément ce qu'elles font.
Mais n'allez surtout pas vous attendre à un authentique cabaret de personnificateurs féminins! La quête d'amour de cette bande n'est pas réaliste, elle est sublimée, éminemment théâtrale, pétrie de nostalgie, hantée par les remords et les regrets. Si les clichés du cabaret sont au rendez-vous, du choix des musiques aux chorégraphies en passant par l'humour bien gras, il y a d'importants contrepoints. C'est que l'art de Platel se joue dans les écarts, les contrastes, les grincements. Ainsi, le défilé de mode est une étrange parade, il est d'un exhibitionnisme drôle et tragique, tendre et grotesque, définitivement émouvant.
Partout on savoure les ruptures de ton. Il y a Forever Young, par Jay-Z, et Comme ils disent, par Aznavour, mais également des airs de Ravel, Schubert et Mahler. Il y a les chorégraphies naïves, bon enfant, mais aussi de rudes corps-à-corps. Il y a les rires, retentissants, chassés par de chaudes larmes. Il y a les désopilantes annonces des agences de rencontre, suivies de près par de douloureuses confessions. Surtout, il y a ces sourires figés, trop beaux pour être vrais, qui finissent par devenir inquiétants, par dire la détresse d'un monde qui, bien que parallèle, marginal, vit sous la même tyrannie que le reste de la planète, sous le joug de la même devise: «The show must go on!»
jeudi 2 juin à 21h / vendredi 3 juin à 20h / samedi 4 juin à 20h / Salle Ludger-Duvernay du Monument-National
durée 1h45
http://www.fta.qc.ca/spectacles/2011/gardenia / #FTA_gardenia