L'enclos de l'éléphant / FTA 2011 / Jeu de société
Ce n'est pas si courant un spectacle de théâtre qui cristallise une profonde réflexion sur les rouages de la société contemporaine. Ces rouages si perversement assemblés, ce mécanisme si intentionnellement complexe que bien peu de citoyens arrivent à en comprendre le fonctionnement, à y trouver une place sans nier leur nature profonde, sans renoncer à leurs idéaux, sans mettre une croix sur ce qui les rend uniques. C'est dans ce genre de pensées que L'enclos de l'éléphant, le plus récent spectacle de Sylvain Bélanger, nous entraîne. Pour notre plus grand bonheur, après Joan McLeod (Cette fille-là) et Olivier Choinière (Félicité), le directeur du Grand Jour se mesure à une écriture aussi forte, celle d'Étienne Lepage, l'auteur de Rouge gueule. Une rencontre obligée, essentielle, de celles qui devaient se produire tôt ou tard.
La pièce est apparemment simple. Un jour, un homme débarque chez un autre homme, plus âgé, plus enrobé, tranquillement absorbé dans la lecture de son journal, pour lui demander refuge, le temps d'une averse. «Si j'entre ça ne vous coûtera pas grand-chose, non? Je ne bougerai pas. Je ne demanderai rien, pas même un verre d'eau. J'entre ici et je ne bouge plus d'un seul poil. Et alors vous vous dites tout de même. Mais il sera là dans ma maison et ça sera fatiguant. Il sera là. Je voulais être tranquille. Je ne demandais rien. Mais pensez à ceci. Peut-être. Peut-être que je connais des choses, des choses que vous ne connaissez pas et qui vous seront utiles? Peut-être que finalement cette rencontre imprévue sera la rencontre de votre vie? Qu'est-ce que vous en savez?»
Déjà, en filigrane de cette situation, on aperçoit la lutte des classes, les inégalités sociales, l'individualisme croissant et la peur de l'Autre qui gagne sans cesse du terrain. Après tout, comme on nous l'apprend dès l'enfance, l'homme est un loup pour l'homme et notre prochain, une menace potentielle. La scène devient alors une arène ou le visiteur, Paul, va se jouer de son hôte, Alexis, de toutes les manières possibles. Au programme du huis clos, fraternité et sadomasochisme, entraide et violence. On assiste à un match sans pitié, un duel qui donne froid dans le dos, un jeu de société dont les règles sont sans cesse plus tordues, machiavéliques. Au début, on rit. À la fin, pas du tout.
Un mot sur le dispositif scénique. En s'inspirant du panoptique développé par le philosophe utilitariste Jeremy Bentham à la fin du 18e siècle, une architecture carcérale à laquelle Michel Foucault a réfléchi dans son essai Surveiller et punir, le metteur en scène et son scénographe, Romain Fabre, ont installé les spectateurs tout autour de l'air de jeu dans des alcôves sous surveillance, des isoloirs dotés d'un écran, d'une caméra et d'une enceinte acoustique. S'il bouleverse le rapport traditionnel entre la scène et la salle, ce qui est un bonheur en soi, et qu'il est emblématique d'une société disciplinaire qui est au cœur de la représentation, on continue de croire que le procédé n'est pas essentiel au spectacle.
Ce qui l'est, par contre, c'est le jeu des acteurs. Dans le rôle principal, Paul Ahmarani est brillant. Denis Gravereaux, son répondant, ne l'est pas moins. Alors que le premier nous entraine de la flagornerie au terrorisme, le second glisse de manière tout aussi fine de la bonne foi à l'effroi. Vous verrez, sous l'action d'un agent révélateur, le confort et l'indifférence d'un nanti voler en éclat. Vous verrez la rage contenue d'un homme bien, satisfait, se déployer de manière ravageurse. Vous verrez ce qui arrive quand on force les êtres humains à jouer des rôles auxquels ils ne sont pas destinés. N'en révélons pas davantage. Contentons-nous de dire que la pièce de Lepage démontre avec une acuité peu commune à quel point nous sommes assis sur un volcan qui gronde.
lundi 6 juin à 20h / mardi 7 juin à 20h / mercredi 8 juin à 20h / Espace Libre
+ du 23 août au 10 septembre au même endroit
durée 1h20
http://www.fta.qc.ca/spectacles/2011/l-enclos-de-l-elephant / #FTA_enclos