Société

Guerre épais

La semaine dernière, j’affirmais dans cette chronique que l’appel au boycott lancé contre les Dixie Chicks (dont la chanteuse, Natalie Maines, a eu l’outrecuidance de critiquer le commander in chief des USA lors d’un show en Angleterre) avait plus ou moins échoué et que le groupe avait même grimpé dans les palmarès malgré la grogne de certains de ses fans. Un lecteur attentif s’est chargé de me rappeler à l’ordre, chiffres à l’appui, me signalant amicalement que j’avais tout faux. Permettez-moi donc une petite précision: au moment d’aller sous presse, l’album Home, récipiendaire d’un trophée Grammy, avait effectivement fait un tout petit bond vers le haut, mais lors de la parution de l’article, le disque avait déjà amorcé une chute qui semble s’accélérer de jour en jour. De toute évidence, les nombreux boycotts et autodafés orchestrés par des stations country des États du Sud commencent à faire mal au trio.

Ce n’est pas l’envie qui manque, mais je ne crierai pas à la bêtise crasse et au patriotisme aveugle de nos voisins du sud. Si vous voulez mon avis, tout cela est juste et bon. Les Américains ont tous les droits de boycotter les Chicks (ce qui n’équivaut pas à une motion de censure), tout comme les Chicks ont le droit de traiter Dubya de moron si ça leur chante (ce qui n’a rien d’un geste antipatriotique). Brûler l’album d’un groupe dont on ne partage pas les idées, c’est le droit fondamental de tout Américain, comme le stipule clairement le fameux premier amendement de la Constitution. Mais dire qu’on a honte de venir du même état que Bush, ou que ce dernier a "volé" les élections, comme l’a affirmé Michael Moore aux Oscars, c’est aussi un droit couvert par ce même premier amendement. La liberté d’expression, c’est pour tout le monde, et les artistes ne devraient pas se gêner d’en profiter.

Mais il semble qu’en temps de guerre, les choses ne soient pas si simples. Les animateurs de talk radios (généralement de stupéfiants analphabètes) se permettent de dire que les artistes devraient se taire, ou alors appuyer les troupes. Quelques grosses pointures du country, Toby Keith et Travis Tritt en tête, se livrent à du Chick bashing, ce dernier allant jusqu’à affirmer que peu importent ses convictions politiques, il fallait se ranger derrière Bush en ces temps troubles.

Même les politiciens s’en mêlent, comme on l’a vu en Caroline du Sud (un État, faut-il le rappeler, qui s’est longtemps battu pour garder le drapeau des Confédérés sur ses édifices publics). Catherine Ceips, membre de la Chambre des représentants de l’État, a fait passer une résolution (avec l’appui de tout le parti républicain) exigeant des excuses officielles de la part de Natalie Maines si elle voulait mettre les pieds à Greenville, où les Chicks doivent donner le premier concert de leur tournée américaine (qui risque de ne jamais avoir lieu, si vous voulez mon avis). La résolution vise aussi à forcer les Chicks à "donner un concert gratuit pour les troupes et les familles des militaires de la Caroline du Sud". Et God bless America! On ne rit plus. Si ça continue, on va bientôt apprendre qu’un obscur sénateur du Missouri ou qu’un propriétaire de Wal-Marde de l’Utah a décidé de bannir les disques d’Anne Murray, de Sarah McLachlan et de Celine en guise de représailles envers les méchants socialo-pacifistes canadiens.

Ce qui nous amène à Madonna. Cette semaine, MusiquePlus s’apprêtait à diffuser en grande pompe le plus récent clip de La Madone, American Life, qui serait, à ce qu’on dit, une véritable bombe pacifiste (pardonnez l’oxymoron). Cool. Ça nous aurait peut-être fait oublier le pétard mouillé de Die Another Day, son infecte contribution à la B.O. du dernier James Bond. Il devait s’agir d’une primeur nord-américaine, Madonna ayant prudemment décidé d’attendre les réactions à la suite de la diffusion canadienne avant de procéder au lancement aux USA.

Mais il n’y eut même pas de lancement canadien, car Madonna, pourtant habituée à la controverse (on n’a qu’à penser au sulfureux clip XXX d’Erotica ou à l’abandon de la campagne de Pepsi à la suite du scandale entourant le clip de Like a Prayer) a tiré la plogue d’elle-même. La version officielle? "J’ai décidé de ne pas présenter mon nouveau clip. Il a été filmé avant le début de la guerre et je ne crois pas que ce soit approprié de le diffuser en ce moment. Par respect pour les troupes armées que je supporte en prières, je ne veux offenser quiconque qui interpréterait mal le message véhiculé par ce clip", disait le communiqué.

Holà, madame Ciccone, qu’est-ce que vous entendez par là? Qu’il est correct d’être pacifiste en temps de paix du moment qu’on devient militariste en temps de guerre? Vous ne croyez pas que c’est justement maintenant qu’on a besoin d’entendre les voix de la dissension? On vous a déjà connue plus rebelle. Peut-être auriez-vous pu publier une déclaration du genre: "À quelques semaines de la parution de mon nouveau disque, j’ai bien trop peur d’être boycottée comme les Dixie Chicks."

Je vous laisse, je dois aller brûler mon vinyle de Like a Virgin.